Histoires de Français Libres - Christian Berntsen - Bayonne

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Christian Berntsen

 

Bayonne et l'âge du capitaine

 

Nous arrivâmes à Bayonne à la fin de la matinée. Nous abandonnâmes l'autocar et nos colifichets. Nous nous mîmes à errer, tandis que M. Filtier courait à la Direction du port.

Bayonne n'a jamais été considérée comme une ville de vacances. On se croise à Bayonne en arpentant la côte basque. Il y a donc, l'été, un certain nombre d'estivants de passage qui y font escale. C'est la Salle des Pas Perdus du Guipúzcoa français. Cette année-là, un nombre excessif de pas s'y perdaient, sous l'oeil désespéré des indigènes. Dans ces derniers jours de juin l'habituelle consommation de cerfs-volants à l'usage des adultes mentalement retardés s'arrêta net. Il y avait pourtant une foule d'adultes, et l'air d'impuissance et d'égarement qu'on leur trouvait pouvait aisément passer pour de l'imbécillité. Néanmoins ils s'abstenaient inexplicablement de jouer au cerf-volant. Ils refusaient de s'intéresser aux affiches multicolores de la publicité tauromachique. La suprématie douteuse de Marcial Lalanda sur Domingo Ortega n'était pas une fois de plus remise en question. Quant à la vogue des courses de vaches landaises et du fandango du samedi soir, institutions éminemment régionales et touristiques, elle se tassait, pour ne pas dire plus. L'ensemble des populations bayonnaises, la sédentaire et la balnéaire, paraissait frappé d'un dégoût rêveur pour tout ce qui rappelait de près ou de loin les corridas, comme si les citoyens eussent été repus d'une corrida gigantesque; on eût dit qu'ils se demandaient encore s'ils y avaient joué le rôle de spectateurs, de taureaux ou même de chevaux de picadors. Il n'y avait qu'une chose dont ils étaient sûrs : les banderilles, ce n'était pas eux qui les avaient posées.

Donc, pas de cerfs-volants aux couleurs joyeuses. En revanche, de la couleur kaki, de la grise, de la jaune, de la bleue ou plus exactement, une couleur : le sale des uniformes en déroute. La majorité de l'armée française ayant fondu de Sedan à Bordeaux, les uniformes rencontrés avaient quelque chose d'étranger qui, l'espace d'un instant d'illusion, rassurait : C'étaient des Tchèques et des Polonais. Bref, des gens dont on pouvait s'imaginer qu'ils avaient perdu la guerre à notre place.

II y avait aussi des marins anglais. Ils revenaient de Dunkerque. Ils traînaient une certaine quantité de chiens-mascottes et songeaient au bateau manqué. Il y avait quelque chose de si étrange dans cette évidence de la marine britannique forcée de se traîner sur terre ferme d'un bout à l'autre de la France que personne ne les regardait sans un commencement de terreur sacrée. On peut raisonnablement supposer qu'un petit nombre de vieux messieurs en bérets estimèrent assez inconsidérément à leur vue que Trafalgar était vengé.

Le nombre des réfugiés pédestres était relativement restreint: La plus grande part avait été bue par le Massif Central. Les réfugiés à véhicules abondaient. Ils étaient en shorts et en Bentleys.


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Dernière mise à jour le jeudi 01 décembre 2005


Un bateau




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