Il reste une demi-heure avant la mise en marche des moteurs, prévue pour 12h.30.
Sandwiches trop secs, thé trop fade, ce sera le déjeuner du jour. Mais personne n'a faim. L'émotion depuis le matin n'a fait que croître. L'ordre et le calme ont régné pendant le briefing ; puis l'atmosphère est devenue tendue, nerveuse. Peu à peu, les cravates se sont dénouées, les cols déboutonnés, les casquettes ont disparu ; on parle trop fort, trop vite, on regarde l'heure trop souvent. Les tenues de vol sont plus nombreuses. Les équipages se dirigent vers les avions, auprès desquels sont déjà les batteries d'accus pour la mise en marche des moteurs.
Assis en rond dans l'herbe, on met au point les derniers détails concernant la coopération et le travail intérieur de l'équipage. On étudie inlassablement le plan du secteur Palaiseau, Fresnes, Chevilly-Larue, Thiais.
Le Commandant Pouliguen va d'un avion à l'autre. C'est un as de l'autre guerre qui ne vole plus en raison des rigoureuses prescriptions sur les limites d'âge. Lors le chaque opération, il assiste au départ avec une nostalgie et un regret touchants. Il souffre de ne pas décoller lui aussi. Et lors du retour, ce soir, personne ne sera plus ému que lui tandis qu'on dénombrera dans le ciel les grands oiseaux rentrant à la base.
Derniers instants de repos et d'attente... Le bruit d'un moteur déchire le silence, puis un autre, puis un troisième. Le fracas remplit l'aérodrome. J'achève de m'habiller. Je me hisse dans ma cabine, je m'installe sur le siège dur, je m'attache solidement. Sous mes pieds, on ferme la trappe. Les avions sont prêts à partir. Tous les yeux sont dirigés vers celui du Colonel, qui doit se placer le premier sur le périmètre du terrain. Il s'ébranle lentement. Derrière lui, les Bostons s'alignent, occupant chacun l'emplacement qui lui permettra, dans quelques instants, de décoller en temps voulu et de prendre la place assignée dans la formation...
Deux par deux, de vingt en vingt secondes, les avions s'élancent sur l'aire cimentée et décollent ; les roues sont rentrées aussitôt. Les grosses machines qui, tout à l'heure, roulaient lourdement à terre, évoluent avec une aisance et une grâce inattendues, comme des poissons souples et profilés.
La formation tourne une fois autour du terrain et prend le cap à 12h.55 avec trente secondes de retard.