Page 513
Le 4 mars, la colonne volante est placée en défense sur la route Medenine-Tatahouine, dans l'alignement des vallées qui descendent des monts Matmata vers la mer, au-dessous de la ligne Mareth. Les spahis Oddo et Oerberon surveillent, à l'est de Ksar Rhilane, l'oued Oradour, Moore l'oued de Temzafet, Breton celui de Smar. Au petit matin du 6 mars, Moore perçoit des ronflements lointains de moteurs et signale une avancée ennemie. Le commandement ne croit pas à une offensive massive. Il se méprend. Lors du réglage des postes, le commandant de la 1ère compagnie de chars, le capitaine Divry, a pourtant entendu, sur la ligne-radio interne, l'ennemi qui les narguait en français : "Vous allez voir ce que vous allez prendre".
Les Allemands tentent de contourner les positions françaises et s'engouffrent, par-derrière, avec l'objectif de couper la route vers Tatahouine. Pendant plus d'une demi-heure, Moore s'emploie à retarder leur progression. Ses spahis s'interposent à bord des engins qu'il a lui même modifiés et démolissent des automitrailleuses adverses. Troquereau arrive en soutien. Le sous-lieutenant Ballarin exécute lui-même le tir d'un autocanon qui stoppe l'avancée ennemie. Des obus supersoniques (tirés à grande vitesse, ils arrivent sur la cible avant que ne soit perçu le coup du départ.) commencent alors à pleuvoir sur les Français qui, malmenés, ne cèdent rien.
La section des chars de Pierre Beaugrand encaisse l'offensive allemande. Beaugrand, blessé, est évacué. Les deux autres chars de sa section, ceux de Lafontaine et Abraham, sont allumés aussi rapidement, accusant trois morts dans leurs habitacles. Divry rameute ses trois autres sections, celles de Malin, Touny et Galley. Le commandant des spahis, Jean Rémy, en effet, a décidé une contre-attaque dans le lit de l'oued avec les Conus-Guns de Courcel. Le maréchal des logis-chef Henri de Rudelle s'emploie avec intrépidité, mais la manoeuvre ne réussit pas totalement. Les Allemands ayant réussi à couper la route progressent toujours. L'aviation alliée surgit, mais en fin de journée, et la colonne volante se voit contrainte de reculer jusqu'à Bir el-Touzine. Geoffroy de Courcel est blessé en couvrant leur repli. Les hommes sont épuisés. Certains, comme Robert Abraham, revenu sur un char démoli, sont repartis à bord d'un autre, ensanglantés. Sans avoir rien mangé de la journée, ils ramènent plusieurs blessés et des véhicules endommagés que Blasquez et son atelier bricolent tant bien que mal dans la nuit. Six chars, cinq automitrailleuses et trois Conus-Guns ont été détruits. De l'un de ces derniers, Divry a distinctement vu Ballarin s'envoler avant de retomber dans le sable, miraculeusement indemne. Le "lieutenant-baraka", Fred Moore, a, lui, justifié son surnom. Son automitrailleuse a été touchée par un tir de char. Pas de blessé, mais elle était hors d'usage. Moore est alors monté à bord d'une autre : nouveau coup direct, toujours sans dommages humains. Avec la troisième dont Michel Abalan était le radio... troisième contrecoup. La chance des spahis tient en fait à la minceur du blindage de leurs engins que les trois obus ont perforé sans exploser.
Le lendemain matin, le spahi et ancien Tcherkesse Paul Oddo, suivi, un peu plus tard, des autocanons de La Selle et Galley des chars et Bauman pour les autocanons, part en reconnaissance au nord de l'oued Gradour. Les ordres donnés par Roumiantzoff sont lapidaires :
"Mission : on va reprendre l'éolienne de Bir elAmar (point central de l'activité ennemie la veille). On verra bien comment ça se passera !
Ennemi : c'est le même qu'hier.
Terrain : vous l'avez devant vous.
Moyens : c'est nous et personne d'autre.
Départ : dans un quart d'heure.
Questions ?"
Deux questions timides, posées sur les mines et sur les canons de 88, reçoivent alors les réponses suivantes : "Les mines, si vous allez très vite, elles sautent derrière vous. Les 88, ça ne vous rattrape pas à tous les coups."
Persuadés d'avoir été vaincus la veille, spahis et chars partent en mission, comme le "Roum" l'a indiqué, en méprisant mines et 88. L'ennemi s'est évanoui. De fait, les Free French apprennent avec stupeur que, la veille, ils ont paré l'attaque de la division Kiel, une vieille connaissance d'El Alainein. Pour avoir barré la route aux blindés ennemis, la colonne volante reçoit les félicitations de Montgomery, peu prolixe en la matière.