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La plupart des hommes de la Brigade d'Orient ignorent également que les leurs sont déjà à l'oeuvre en Erythrée vers laquelle ils font route. A la fin du mois d'octobre et dans la foulée des marsouins de Folliot à l'oeuvre à Tobrouk, les spahis du capitaine Jourdier, en effet, ont levé le camp de Moascar. Direction le Soudan et l'Erythrée aux mains du Duce. Jourdier peut compter sur (à peine !) 78 spahis, soit, tout de même, l'optimisme étant de rigueur chez les Français Libres, le double de l'effectif originaire de Syrie. Remontée du Nil en bateau, train jusqu'à Khartoum. Début décembre, les spahis se sont installés à Abu-Derissa au point commun entre le Soudan, l'Abyssinie et l'Erythrée qui n'était éloignée que d'une trentaine de kilomètres. L'escadron est venu y relever un bataillon d'Hindous de l'armée britannique.
Le campement borde le fleuve Setit, et ses crocodiles. La région est magnifique avec une épaisse savane, parsemée de forêts d'épineux très giboyeuse.
Tandis que la Brigade d'Orient se rapproche d'eux à petits pas, les spahis effectuent leurs premières opérations de guerre, des reconnaissances aux alentours de la frontière soudanaise. Ballarin et sept de ses hommes se heurtent pour la première fois aux Italiens, le long du Setit, le 27 décembre. L'escadron mène la chasse jusqu'à Umbrega où, le 2 janvier 1941, une patrouille menée par Morel-Deville débusque, dans les hautes herbes, un bivouac d'Ascaris. Des coups de feu partent, alertant l'ennemi. Morel-Deville et Ballarin sont pris à partie par des fusils-mitrailleurs aux tirs imprécis. Quand le capitaine Jourdier rameute l'escadron aux abords du campement, les Italiens fuient en ordre dispersé. Le peloton de Villoutreys se présente à son tour et l'ensemble des spahis peut dorénavant entreprendre la traque qui les conduit jusqu'à un plateau. Villoutreys emmène son peloton à pied. Jourdier, lui, contourne tandis qu'Arainty prend position face à l'ennemi. La charge est lancée, sabre au clair, cheval au galop, comme au temps des hussards napoléoniens. L'ennemi, sans doute stupéfait de la nature de l'assaut, se débande et accuse la défaite. Il laisse, sur le plateau, douze tués dont quatre par le sabre du seul Ballarin. Du côté des spahis, le soldat Mohamed Ben Ali est tué par une grenade. Ce sera l'une des dernières charges à cheval de toute l'histoire de l'armée française !
Progressant le long du Setit, les spahis rencontrent une nouvelle résistance à Omager, le 18 janvier. Cachés dans les hautes herbes, les Italiens surgissent en nombre et de toutes parts. L'escadron est rapidement encerclé, mais exécute une charge une fois encore bénéfique. Le spahi Sigismond Blednicki, ancien mineur, se distingue au fusil mitrailleur en repoussant, seul, plusieurs ennemis. La petite ville est prise.
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Le général de Gaulle rend ensuite visite aux spahis qui, malgré leur faible nombre, ont magnifiquement percé en territoire soudanais. Il tient ainsi à saluer la hargne de Ballarin, le sens tactique de Jourdier et de Morel-Deville, le dévouement du brigadier-chef Roger Lavenir qui, au cours de la bataille, a cédé son cheval à un de ses camarades blessés. La rencontre a lieu à Ponte-Mussolini. A l'occasion, Arainty et Ballarin se voient promettre la croix de la Libération pour leur comportement exemplaire au feu, mais ils ne la recevront que bien plus tard. Jourdier accueille des renforts de Londres, ainsi que des coloniaux d'Abéché avec lesquels un nouvel escadron est constitué aux ordres de Morel-Deville qui s'appuie sur de solides sous-officiers comme Blednicki. Le temps consacré à leur incorporation empêche toutefois les spahis de prendre part aux opérations d'Erythrée.