Histoires de Français Libres - Le Premier Régiment d'Artillerie - Italie

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Le Premier Régiment d'Artillerie

 

Italie

 

La campagne d'Afrique étant terminée, le Régiment passe l'été à Zouara en Tripolitaine, puis s'installe près de Tunis où il s'entraîne sans relâche en vue des combats futurs. Il est une fois de plus réorganisé. Il fusionne avec le 2e R.A.C. et est équipé avec du matériel américain il s'est peu à peu augmenté d'éléments venus de tous les coins du monde : Mauriciens, Réunionnais, Pondichériens, Arméniens et Français d'Amérique Centrale ou d'Amérique du Sud sous les ordres du colonel Laurent-Champrosay secondé par le lieutenant-colonel Maubert il se compose de trois groupes de 105 mm commandés par les chefs d'escadron Marsault, Jonas et Bruneton et d'un groupe de 155 mm sous les ordres du chef d'escadron Crespin. Un détachement de liaison avancé qui s'avérera particulièrement efficace est placé sous les ordres du commandant Ravet. A la fin d'avril, il embarque à Bône et à Bizerte, faisant route vers l'italie.

Le débarquement s'effectue à Naples, le regroupement à Albanova et le Régiment est prêt à déclencher avec le Corps Expéditionnaire Français du général Juin la formidable attaque qui, des rives du Garigliano, va le porter à travers l'Italie, dans les plus rudes épreuves, sur un terrain hérissé d'obstacles.

Du 7 au 10 mai, le Régiment prend place derrière les premiers mamelons qui bordent la rivière. Le groupe lourd est à moins d'un kilomètre de l'ennemi. L'installation a lieu de nuit dans un grand silence.

Le 11 mai à 23 heures, une gigantesque préparation d'artillerie se déclenche de Cassino à la mer. La grande offensive, prélude du débarquement en France, commence.

De leur tête de pont sur l'embouchure du Garigliano, les fantassins remontent péniblement la rive nord dominée par de hauts sommets : Maio, Faito, Girofano, qui pilonnés par l'artillerie, s'embrasent la nuit comme de véritables volcans, couronnés de fumée rougeoyante. Le 14, la rive opposée est enfin nettoyée : San-Andrea, San-Ambrogio, San-Appolinare sont successivement enlevés par l'infanterie. En trois jours, 50 000 coups de canon ont été tirés. Le Régiment traverse le Garigliano sur un pont de bateaux et commence sa glorieuse progression.

Pendant toute cette période, l'activité des groupes est extraordinaire ils se déplacent au cours de la nuit, s'installent à l'aube, règlent leurs tirs dès les premières lueurs du jour, souvent par avion, et sont prêts en quelques instants à appuyer l'attaque quotidienne. Ils repartent parfois dans la même journée pour se déployer à nouveau, pour tirer à peine prêts et repartir encore. Les officiers de liaison vivent en première ligne avec leurs camarades d'infanterie menant la vie âpre et dangereuse des observateurs avancés.

Un grand enthousiasme anime le Régiment malgré les pertes et les fatigues.

Du 15 au 19 mai, quatre positions principales sont occupées. Le 20, les groupes sont aux environs de Pontecorvo, coeur de la ligne Hitler. L'attaque est menée en coopération avec les Canadiens qui sont à la droite de la division et la bataille est sévère. L'ennemi contre-attaque avec des chars. Les observateurs du monastère de Capuccini (où le capitaine Rivié est grièvement blessé), puis du Mont-Leucio jouent un rôle décisif par l'intervention de feux renouvelés et meurtriers.

Le 25 mai, grâce à la poussée irrésistible de nos troupes, la jonction est faite avec l'armée américaine d'Anzio, et le général commandant l'artillerie du Corps Expéditionnaire télégraphie les félicitations du général Clark, commandant la Ve Armée, conçues en ces termes :

"Dans les phases initiales de l'offensive actuelle, le Corps Expéditionnaire Français a combattu avec un tel courage et s'est emparé avec une telle rapidité des objectifs qui lui étaient assignés qu'il a conquis non seulement l'admiration de ses compagnons d'armes de la Ve Armée, mais encore celui de l'ensemble des Nations alliées"

Les artilleurs de la Ve Armée, par le canal de ce bulletin d'information, félicitent l'artillerie du général Chaillet pour l'appui énergique et efficace donné à la magnifique infanterie française dans son avance réussie à travers des positions défensives allemandes solidement fortifiées. Ils saluent leurs camarades d'armes : les "Red Legs" (Surnom donné par les Américains a leurs artilleurs) françaises.

Le Régiment est envoyé le 28 mai au sud-ouest de Frosinone en appui de la 4e Division Marocaine de Montagne, tandis que l'infanterie divisionnaire se regroupe.

Le 5 juin, la lutte se poursuit à Tivoli où le lieutenant- colonel Maubert commande un groupement important et particulièrement dans la villa Adriana où les Allemands s'accrochent. La division fait face au nord, protégeant le flanc des blindés de la Ve Armée qui entrent le 4 juin dans Rome. Le Régiment traverse cette capitale le 10 juin, au milieu d'une foule enthousiaste. C'est un double anniversaire : celui de la déclaration de guerre de l'Italie en 1940 et celui de la sortie de Bir-Hakeim.

Le 2e Groupe commandé par le chef d'escadron Jonas soutenant la 2e Brigade, part à la poursuite de l'ennemi le Régiment regroupé dépasse Viterbo, puis avance vers Vetrella. Montefiascone est pris le 11, le lac de Bolsena atteint le 12.

La bataille atteint son paroxysme. L'infanterie ne progresse plus qu'au prix de pertes sévères. Le Régiment tire plus de 20 000 obus en vingt-quatre heures.

Le 15 juin, le Régiment est à Acquapendente, le 18 juin, devant Radicofani. De nouveau l'ennemi s'accroche. Il faut briser sa résistance acharnée.

En raison de l'avance rapide, les liaisons avec les éléments voisins se font mal : le colonel Laurent-Champrosay part lui-même reconnaître une route vers Scotte Morte, pour assurer le contact avec la division qui se trouve à la gauche du Régiment : il saute sur une mine.

Transporté à l'hôpital divisionnaire, il meurt dans la nuit des suites de ses blessures.
Le 19 juin, le Régiment apprend qu'il vient de perdre le chef qui l'avait non seulement formé, mais qui l'avait si fortement marqué de sa personnalité. Le lieutenant- colonel Maubert prend le commandement du Régiment.

La dépouille mortelle du colonel Laurent-Champrosay est conduite au cimetière de la Division, à la sortie de San-Lorenzo. Il pleut. Le général Brosset, commandant la D.F.L., prend la parole mais étranglé par l'émotion, peut à peine s'exprimer. Le général de Larminat, en un bref discours, cite le colonel Laurent-Champrosay en exemple de bravoure et de devoir, assurant que la France libérée glorifiera sa mémoire. Les derniers honneurs sont rendus. Ce sont des obsèques comme ce chef les aurait souhaitées : simples, purement militaires, avec peu d'hommes du Régiment, la bataille les retenant à leurs postes de combat. La canonnade se poursuit, mêlant son grondement aux prières liturgiques.

Radicofani pris et dépassé, la division, durement éprouvée, est relevée.

Après les combats ininterrompus qui l'ont conduite des rives du Garigliano à Radicofani, soit 350 kilomètres en quarante jours, le Régiment prend quelques jours de repos sur les rives du lac de Bolsena et se retrouve le 27 juin à Aibanova, d'où il était parti avec tant d'enthousiasme. Mais il a payé un lourd tribut. Parmi ses pertes, outre son chef, il compte cinq commandants de batterie, tous tués en liaison avec l'infanterie ou à leurs observatoires : les capitaines Souleau (9e batterie), Dupraz (11e batterie), Briard (8e batterie), Mercier (12e batterie), et le lieutenant Quinsac, nouveau commandant de la 9e batterie, enterré auprès du colonel Laurent-Champrosay et associé à lui dans les derniers hommages.

Au début de juillet, le Régiment est passé en revue sur l'aérodrome de Caserta, par le général de Gaulle qui arrive de Normandie.

Chacun en son coeur pense à de nouvelles opérations.

Sous les ordres de son nouveau chef, le colonel Bert, le Régiment part le 17 juillet pour Tarente et Brindisi où vont avoir lieu les opérations d'embarquement, après deux semaines passées au milieu d'une population hostile. C'est le départ, entre le 8 et le 13 août, de ce pays où la guerre a été menée à toute allure, sous un soleil éclatant parmi des paysages admirables et variés dont les tableaux colorés sont liés dans la mémoire de chacun aux souvenirs des combats. Et il reste à ceux qui ont fait campagne, un arrière-goût de cette poussière impalpable, suffocante, qui les a partout suivis. On a aussi le sentiment d'avoir exercé ses talents sur un instrument neuf. La gamme du matériel motorisé américain s'est prêtée magnifiquement à tous les efforts, à toutes les intentions. Que dire en particulier de l'observation aérienne, menée de bout en bout avec une souplesse et une hardiesse étonnantes par la section de piper-cubs commandés par le lieutenant Laporte. Constamment en l'air, elle découvre des objectifs, renseigne sur les mouvements de l'ennemi et sert en même temps la volonté tendue du chef du Régiment qui garde avec elle un contact personnel de tous les instants.


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