| | | | La poursuite dans le désert |
| Dans "Calots rouges et bérets noirs" | | | Après la première journée de la Bataille d'EI Alamein, le Général Montgomery remania son dispositif. La 1re Brigade Française Libre glisse légèrement vers le Nord pour grignoter avec la 2e Brigade Grecque les positions de la Division Folgore devant Deir Menassib. La 7e Division Blindée remonte au Nord de la crête de Ruweysat où doit se jouer la part décisive de la bataille.
La Colonne Volante reste seule au contact de l'ennemi à l'extrême sud du dispositif allié avec mission de protéger l'aile gauche de la VIIIe Armée "depuis le parallèle d'El Himeimat jusqu'au Cap". La dépression de Quattara limite heureusement l'espace à une dizaine de kilomètres. L'action de la Colonne Volante est étayée d'ailleurs par la présence à six kilomètres à l'Est, d'une brigade de chars en carton et toile qui remplace les blindés de la 7e Division Blindée. Vue à la jumelle d'El Himeimat, ou observée d'avion, cette "dummy brigade" doit produire son petit effet. Certaines nuits, une camionnette munie d'un phonographe et d'un haut-parleur vient passer quelques disques qui reproduisent les bruits d'une colonne de chars en marche. Toutes ces "déceptions" ont pour but de maintenir le Commandement allemand dans l'incertitude et de l'inciter à garder des réserves dans le Sud, loin de la zone où se déroule l'attaque principale.
Pour la Colonne Volante ce sont des journées d'inaction dont la monotonie n'est rompue que par un déplacement rapide dans la dépression de Maghra, royaume de moustiques et de vipères à cornes et par des patrouilles quotidiennes ayant pour but de reconnaître mieux les champs de mines ennemis.
Cependant les nouvelles du Nord deviennent de plus en plus optimistes. A coups de bélier, le 3e Corps d'Armée Britannique se fraie son chemin à travers les positions de Rommel. Toutes les contre-attaques des panzers sont repoussées.
Le 4 novembre enfin, sonne l'hallali et la Colonne Volante reçoit l'ordre de se porter en avant et de monter sur le plateau d'El Taqqa. Une section de sapeurs britanniques est mise à sa disposition pour créer les brèches dans les champs de mines. Il faut en traverser sept avant de déboucher sur le plateau. A chaque champ de mines, dès que les travaux sont terminés, le Lieutenant S..., commandant la section, rend compte en disant: "Le travail est fini, je crois. Je vais essayer". Et il part dans son camion non blindé pour traverser le premier.
C'est la première fois que les spahis et les chasseurs ont l'occasion de voir de près leurs camarades anglais au combat. Ce qui les frappe le plus c'est certainement l'atmosphère de calme, d'ordre et de méthode qui se dégage de l'action de ces sapeurs. Dès qu'un champ de mines est signalé, les équipes mettent pied à. terre. Sans cris, sans gestes, ni paroles inutiles, chacun se met à son travail et accomplit tranquillement son "Job" avec la même simplicité et ponctualité qu'il mettait à l'effectuer dans son "Office" londonien ou son atelier à Manchester ou à Birmingham. Cela donnait l'impression d'une force calme, lente mais inexorable.
Le plateau de Nagb El RaMa est trouvé vide. Quelques pancartes indiquent bien qu'il était occupé par la Division Pavia, mais les seuls vestiges de cette occupation consistent en tas d'ordures qui parsèment le terrain et en essaims de mouches qui les survolent. Spectacle étonnant pour nos hommes habitués à la stricte discipline sanitaire de la VIIIe Armée.
Ce n'est que dans l'après-midi du lendemain que l'escadron Morel Deville, qui constitue l'avant-garde de la Colonne Volante, rejoint l'ennemi et engage un combat qui se solde par la capture de quelques deux cents prisonniers. Parmi eux se trouvent le Colonel Commandant l'Artillerie de la Division Pavia et une cinquantaine de parachutistes allemands de la Brigade Ramke. En même temps l'escadron prend liaison sur le versant nord du plateau d'El Taqqa avec les Royal Dragoons, un beau régiment de reconnaissance britannique.
Le 6, la marche vers l'Ouest se poursuit mais le contact n'est pas rétabli.
Le 7, un groupe de motocyclistes de la Brigade Ramke est capturé par le peloton de commandement de la Colonne Volante, alors qu'il s'était glissé entre l'avant-garde et le gros de la colonne. Les traces relevées sont toutes fraîches. On ramasse quelques traînards italiens ou allemands. Certains font de l'auto stop et supplient de ne pas les abandonner dans le désert. Il semble que l'ennemi va être rattrapé à la prochaine crête. Hélas, l'essence baisse dans les réservoirs. Le ravitaillement n'a pu rejoindre la colonne depuis deux jours. Le Commandant de la colonne donne l'ordre d'arrêter la poursuite alors qu'il ne reste dans les véhicules que la quantité d'essence suffisante à peine. pour faire une cinquantaine de kilomètres. Le leager est formé pour la nuit. Chacun espère que le ravitaillement en essence rejoindra le lendemain. Nous sommes la formation de la Ville Armée la plus avancée vers le sud. Peut-être nous désignera-t-on pour aller réoccuper Siouah ou Djeraboud, ces oasis mystérieuses qui hantent les esprits de ceux qui sont attachés au désert.
Le lendemain 8 novembre, dès les premières lueurs du jour, le camp est en effervescence. La radio de Londres annonce le débarquement allié en Afrique du Nord et répète inlassablement les appels du Général Eisenhower et du Général Giraud. Un enthousiasme fou s'empare de tous. Enfin l'Afrique du Nord va reprendre les armes contre l'ennemi. Enfin nous, la poignée de traîtres et de dissidents, ne seront plus seuls dans le combat. Nous allons retrouver des camarades qu'on a bien enguirlandé un peu au moment ou ils prenaient le bateau pour rentrer en France après l'affaire de Syrie, mais que l'on aime bien et que l'on sera heureux de revoir à ses côtés. Mais plus la journée avance, plus les nouvelles sont mauvaises. Les Américains ont été reçus partout à coups de fusil. La marine se bat héroïquement contre les alliés de la France. A Casablanca, le "Primauguet" est coulé, le "Jean Bart" endommagé. Darlan est à Alger et prend la direction de la résistance "contre tout envahisseur d'où qu'il vienne" et nous savons ce que cela veut dire. Chacun est découragé. Les plus exaltés ne ménagent pas leurs injures à ceux qui, esclaves d'une discipline passive, se battent au Maroc et en Algérie contre les intérêts du pays et contre la voix de leur conscience. Le fossé qui sépare les Français Libres des Français tout court s'élargit encore. Il faudra beaucoup de temps, il faudra des combats en commun en Tunisie, en Italie, en France, il faudra la résistance intérieure, il faudra des sacrifices et des deuils pour se comprendre et s'unir.
Cette journée du 8 novembre est bien mauvaise pour la Colonne Volante. Le ravitaillement en essence arrive au début de l'après-midi et avec lui les premiers éléments de l'escadron Troquereau. Mais avant que les pleins d'essence soient terminés, parvient un message du 13e C. A. prescrivant à la Colonne Volante d'abandonner la poursuite et de se replier sur Deir El Raghil à sa position de départ ou à peu près.
Pendant près d'un mois la Colonne Volante stationne à Deir El Raghil d'abord, à Bourg El Arab ensuite. Le matériel est remis en état. L'organisation du RMSM est remaniée par le regroupement de tous les pelotons d'autos-canons qui formeront désormais le 3e Escadron Capitaine de Courcel. L'Escadron Morel Deville, dont le matériel fut fortement éprouvé par trois mois de séjour dans le désert et les combats qu'il a livrés, est dirigé sur les ateliers de Tel El Kébir pour révision et modernisation de ses véhicules de combat.
Malgré la proximité d'Alexandrie et l'envoi quotidien de permissionnaires dans cette ville le moral baisse. Chacun s'inquiète de voir la Colonne Volante stationner près du Delta, alors que les éléments de la VIIIe Armée ont atteint El Agheila et s'apprêtent à forcer ce goulot qui par deux fois déjà avait brisé l'élan des Britanniques vers la Tripolitaine.
Les nouvelles de l'Afrique du Nord sont meilleures. Un accord a été signé entre Darlan et Eisenhower et les troupes d'Afrique du Nord ont repris le combat contre l'axe en Tunisie, ce qui ne manque pas de faire naître chez nos hommes un sentiment d'envie à l'égard de ces "ouvriers de la dernière heure".
Enfin l'ordre est donné à la Colonne Volante de se porter dans la région de Tobrouk où elle doit recevoir de nouvelles instructions.
En arrivant à El Adem, la Colonne Volante est mise à la disposition du 10e CA et rattachée à la 4e Division d'Infanterie Indienne.
Pendant le stationnement à El Adem, un pèlerinage est fait à Bir-Hakim au cours duquel les honneurs sont rendus à ceux qui donnèrent, six mois plus tôt, leur vie pour "accrocher un nouveau rayon de gloire au drapeau de la France".
Le 2 janvier 1943, le 10e CA se porte en avant en vue de relever en Syrtique le 30e C.A. et continuer la poursuite vers l'ouest de ce qui reste de la Deutsche-Italienische Panzerarmée Afrika. La première étape doit mener la 4e Division Indienne à Bir Gania. Après avoir dépassé Bir-Hakim, la Colonne Volante qui doit guider la Division obliquera vers le Sud et effectuera une marche à la boussole de plus de cent kilomètres. L'azimut 194° doit la conduire à Bir Gania.
Au départ, le ciel est bas et à partir de Bir-Hakim, il commence à pleuvoir. Bientôt, le désert se transforme en un vaste bourbier parsemé de lacs et d'étangs entre lesquels les véhicules pataugent, s'embourbent, repartent, s'enlisent à nouveau. Aussi loin que l'oeil peut porter, la plaine est jonchée de véhicules en difficulté, des équipages qui s'affairent pour tirer leurs camions ou leurs AM du marécage dans lequel ils s'enfoncent.
Naturellement Bir Gania n'est pas atteint et la Colonne stationne pour la nuit dans la boue et sous la pluie. Le lendemain, la marche est reprise vers le sud dans les mêmes conditions atmosphériques et au soir le gros de la Division arrive péniblement à franchir une trentaine de kilomètres. Il laisse derrière lui une traînée de véhicules en panne dont le nombre augmente au fur et à mesure de l'avance. La pluie ne cessant pas, le Commandant de la Division décide, devant l'épuisement de ses réserves d'essence, de rejoindre le terrain rocailleux de la région de M'Sous.
Le 4 janvier, la 4e Division Indienne et la 50e Division d'Infanterie Britannique, qui suit ses traces, obliquent vers le Nord-Ouest. Il faudra encore deux jours de lutte contre l'eau et la boue pour atteindre la terre ferme près de M'Sous. Dans le triangle délimité par M'Sous, Bir Gania et Bir-Hakim, plus de huit cents véhicules ont dû être abandonnés. Ceci représente 20 à 25 % des dotations de deux Divisions. Le 10e C.A. n'est plus apte au combat et reçoit l'ordre de se regrouper près Cie Benghazi pour remettre son matériel en état. Le 30e C.A. continuera la poursuite de l'ennemi.
La Colonne Volante a souffert comme les autres formations ayant pris part à la marche "Azimut 194". Un peu moins cependant, car à l'arrivée à Benghazi, il ne lui manque que quinze véhicules, ce qui représente 12 % de son effectif. Encore quelques voitures rejoignent-elles dans les jours qui suivent.
La crainte de manquer le combat a décuplé la débrouillardise des spahis. Comment ne pas citer cet équipage d'une AM qui immobilisée par une bielle coulée, démonte le moteur, récupère le plomb des Bren-Gun, régule la bielle, remonte le moteur et repart dès que le terrain a séché un peu. |
| | Le char Crusader "Le Vengeur"
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| | Le 23 janvier, parvient la nouvelle de la prise de Tripoli et de la jonction de la VIIIe Armée avec la colonne Leclerc venant du Tchad, le Fezzan vient d'être conquis par les Forces Françaises Libres. Les reconnaissances anglaises pénètrent en Tunisie et commencent à tâter la ligne de Mareth sur laquelle s'installent les débris de l'Armée de Rommel. Quel constructeur de cette "ligne Maginot africaine" aurait envisagé cette situation paradoxale : les Italiens occupent face au Sud les fortifications de Mareth et attendent avec inquiétude l'attaque des Forces Franco-Britanniques. La guerre a de ces plaisanteries imprévues, propres à déconcerter le plus docte théoricien.
Cependant la Colonne Volante remet en état son matériel et poursuit son instruction avec la 50e DI, dont elle est devenue le régiment de reconnaissance.
Les relations les plus cordiales s'établissent rapidement entre les Fighting French et les Gars de Yorkshire. Des exercices de cadres sur la caisse à sable et sur le terrain habituent les officiers français et anglais à travailler en commun. On profite du terrain particulier du Djebel Akhdar pour étudier les opérations dans les zones non désertiques de la Tunisie et même en Europe. La guerre dans le désert devient du passé. On se prépare à tourner la page et à entamer un nouveau chapitre.
Un petit incident, insignifiant en soi, montre que le prestige militaire de l'Armée Française n'a pas complètement disparu malgré le désastre de 40. Au cours d'un exercice sur le terrain, une discussion s'élève entre deux groupes d'officiers britanniques sur le choix de la zone d'attaque d'un bataillon : faut-il attaquer à gauche ou à droite de la route ? Le directeur de l'exercice semble pencher pour la solution à droite. Alors le chef des partisans de l'attaque par la gauche demande l'avis d'un des officiers français présents. Celui-ci estime que l'attaque doit être effectuée à gauche et l'Anglais triomphant de s'écrier : "Le Free French dit comme moi, donc j'ai raison".
Enfin, le 12 février, arrive l'ordre de porter la Colonne Volante à Tripoli où elle se mettra à la disposition du 30e CA pour être engagée dans le Sud Tunisien.
Par la Via Balbia, la Colonne traverse la plaine de Benghazi, la Syrtique et pénètre en Tripolitaine à Moissourata. L'étroite bande d'asphalte de la route se faufile entre les dunes et les marais salants. Tout le long de la route, des croix isolées et des pancartes "Keep Out - Mines" témoignent du travail accompli par les sapeurs de Rommel. Toutes les maisons cantonnières, toutes celles de Syrte et de Bouerat sont farcies de pièges. Les inscriptions "Keep out - Booby traps" en interdisent l'accès. Nous entrons dans une nouvelle phase de guerre. L'ennemi vaincu recule, mais fait payer chèrement son avance à la VIII' Armée. Entre El Agheila et la position de Mareth le 30e CA perd près de deux mille hommes par action des mines ennemies, plus de deux hommes par kilomètre d'avance. |
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