| | | | | Chapitre quatre : Le 31 mai 1942 à 2 heures du matin... | | | Quel vacarme après le silence du ciel! Je reste caché dans l'herbe haute, pistolet à la main - une balle dans le canon, cran d'arrêt ôté - scrutant l'ombre des haies, tendu, prêt à défendre chèrement...
Il n'y a là rien de méchant, seulement les hôtes naturels de l'endroit, que mon arrivée n'impressionne pas, à leur aise et célébrant l'Amour dans la tiédeur du Printemps, et qui s'appellent sous la lune: "Cigale[1] chérie, je suis ici! Grillon de mon coeur, viens! Ma grenouille, ah, je meurs!"
Il me faut détacher la valise des suspentes. Les instructions sont de faire un paquet du parachute, de la combinaison de saut et du rembourrage de protection de la valise, puis d'enterrer le tout: j'ai même la pelle idoine attachée à la jambe de ma combinaison de saut.
Mais la terre est bien dure et il fait bien chaud. La gare de Romanèche-Thorins doit être à une dizaine de kilomètres. Creuser un gros trou dans ce sol sec, puis traîner ma valise dans la chaleur de la nuit sur une telle distance, va m'épuiser et me faire remarquer: ça ne me semble pas raisonnable. Il vaut mieux cacher le tout et revenir chercher mon bagage plus tard.
Je fais une boule de l'ensemble - ayant, bien sûr, retiré le Paraset de la grosse valise: avoir un poste émetteur au bout des doigts est ma raison d'être ici - bien recouvert de tissu camouflage, que je fourre au plus profond d'un buisson, pas trop près, en prenant soin de ne pas laisser de trace qui puisse relier la cachette à l'herbe écrasée par mon atterrissage.
La route est là, à côté du pré. Une borne: Thoissey 3 kms. Chapeau pour la navigation!
La route serpente à travers Thoissey. La lune et les étoiles éclairent le chemin. Chiens stupides qui aboient, malgré mes semelles de crêpe. Volets clos de la gendarmerie. Je m'en voudrais de déranger le sommeil de ses occupants.
Des champs s'étendent de part et d'autre de la route. Je marche dans la nuit chaude, les yeux et les oreilles aux aguets, entouré par le bruit des conversations des bestioles, mon Paraset toujours à la main. Une autre borne me dit que la gare de Romanèche-Thorins est à cinq kilomètres. N'est-il pas bien tôt pour y arriver? Et si je dormais un peu dans ce petit bois?
Il fait jour, c'est dimanche. Déjà on travaille dans les champs à étaler les meulettes du foin entassé pour la nuit. Petit déjeuner avec une ration de survie: il y a là une tablette d'un mélange de chocolat et d'extrait de boeuf déshydraté, sans doute très nourrissant. Ce métier exige une grande largeur d'esprit.
Je traverse la Saône. Soleil radieux. La gare de Romanèche-Thorins. "Un billet aller pour Uzès, s'il vous plaît." Arrivée de la locomotive: gros soupirs de vapeur. Le wagon est plein de gens avec des colis, des sacs, des valises: tous parlent ravitaillement, de toute évidence le sujet de première importance.
Il me faut changer de train à Lyon. Dans la gare de Perrache, une équipe de gendarmes scrute la foule, demande l'ouverture d'une valise particulièrement grosse, ou les papiers de celui qui a vraiment l'allure trop louche. Moi, j'ai l'air d'un bon petit et ma valise est pas grosse: je passe sans encombre avec le flot. Il me faut aussi changer à Nîmes, mais là, pas de train pour Uzès avant le lendemain.
Lorsqu'au matin on frappe à la porte de ma chambre d'hôtel pour me réveiller, je réponds: "Come in!" Ça n'est pas perçu.
À Uzès, je trouve mon contact, un ami d'André Diethelm[2] qui me donne l'adresse de celui dont je dois être le radio: Jacques Soulas - SALM - chef d'une mission pour le Commissariat à l'Intérieur, et dont l'objet est de prendre contact avec des personnalités de la vie politique française pour essayer de les persuader de rejoindre le général de Gaulle, qui se trouve un peu seul en Angleterre.
J'ai connu Jacques Soulas à Londres. Il était de ceux qui, prisonniers de guerre dans l'Est de l'Allemagne, s'étaient évadés vers l'URSS proche, d'où ils avaient rejoint les FFL en Angleterre, et qu'on avait surnommés: Les Russes.
La plupart des chefs de mission en France: renseignements politiques, économiques ou militaires, organisation de parachutages et d'atterrissage, de sabotage, de propagande, d'évasion, etc., étaient accompagnés d'un opérateur radio - dans la mesure où, denrée rare, il y en avait de disponible - pour assurer les communications avec leur base en Angleterre[3].
Jacques Soulas habite Lyon, l0 Montée des Carmélites, avec sa femme et ses enfants. Il a repris son travail aux Cables de Lyon, une couverture impeccable. Retrouvailles. Des télégrammes arrivés par le truchement d'un réseau polonais lyonnais[4] lui avaient annoncé mon arrivée.
Je cherche une chambre meublée. J'en trouve une du côté de Bron, au deuxième étage d'un pavillon de banlieue tout en hauteur. J'achète un vélo d'occasion, objet rare, mais indispensable, payé son poids d'or, que j'utilise aussitôt pour aller chercher la valise cachée sous son buisson de mon terrain d'atterrissage près de Thoissey. Je la retrouve sans difficulté.
J'achète aussi un poste de TSF, qui sera l'alibi pour demander à mon propriétaire la permission d'installer un fil d'antenne en travers de son jardin: "La réception est tellement meilleure, n'est-ce pas, avec une antenne."
Pour lui, je suis étudiant en droit. J'essaie, sans grande conviction, de m'inscrire en faculté, mais mon manque de connaissance de l'université me fait craindre d'y être trop maladroit et de me faire remarquer. |
| | L'auteur à Lyon, 1942-43 (?). |
| | Émotion lorsque je vais au service du Ravitaillement. Je présente la carte qui me donne droit à ma ration de tickets mensuels de ravitaillement. Elle a été imprimée à Londres, mais il est écrit dessus qu'elle a été délivrée à Paris. "Quelle drôle de couleur!" dit la préposée. "Vous trouvez? Elles sont toutes comme ça à Paris. - Ah bon," dit la dame. Et me donne mes tickets.
Aussitôt installé dans ma chambre, j'essaie d'établir le contact radio avec l'Angleterre. En vain. J'appelle à tous les rendez-vous, six fois par semaine, trois de jour, trois de nuit. C'est décourageant. Soulas, via le réseau polonais, signale à Londres mes efforts infructueux[5]. Le 20 juin, l'opérateur de la Centrale se réveille: les premiers télégrammes passent dans les deux sens[6].
Le Paraset, le poste émetteur-récepteur que j'utilise, a pour principales qualités d'être petit et léger. La partie récepteur, d'un type dit "à réaction", est sensible et permet de recevoir des signaux faibles, mais son réglage, un peu acrobatique, varie au gré des fluctuations du voltage de la ligne du secteur électrique, et de la proximité de la main de l'opérateur. Il est peu sélectif: une station puissante, voisine de la longueur d'onde de votre correspondant, matraque facilement vos tympans et rend difficile la lecture du Morse.
L'émetteur a une faible puissance: 4 watts. Sur ondes courtes, ça n'est pas un gros inconvénient, d'autant plus que mon correspondant en Angleterre dispose de récepteurs sophistiqués et des immenses antennes de la Centrale, la "Home Station", STS 53A, située à Grendon[7].
Écoute rituelle, aussi et toujours, de la BBC, pour entendre les nouvelles de la guerre, sur ondes courtes aussi, bien sûr, malgré le brouillage intense des Allemands. Merveilleuses ondes courtes qui permettent aux faibles de se jouer des puissants!
Pas grand-chose à faire. Le travail de mon patron génère peu de trafic radio: environ cinq télés par semaine[8]. Grandes balades à vélo dans la campagne alentour. Mes muscles à bicyclette, inutilisés depuis l'été 40, fonctionnent toujours bien. Les routes sont vides et je transpire sous le soleil. Je vais me rafraîchir sur les plages de la Saône: j'y retrouve parfois mon patron, sa femme, ses enfants.
Je découvre Lyon, les Lyonnais à l'abord grincheux, les ouragans de poussière de la place Bellecour, les tramways antédiluviens et leurs rails néfastes aux cyclistes, les splendides chevaux de Carpeaux sur la place des Terreaux, la Tour Eiffel à courte pattes, et sa voisine Notre-Dame de Fourvière qui, comme le Sacré-Coeur de Montmartre, ressemble à un éléphant sur le dos; et les petits restaurants où, avec un peu d'argent, guerrier sans vergogne, je mange au marché noir et à ma faim.
Vie sur une autre planète qui a pour nom solitude. Rares rencontres avec mon patron, la sécurité exige le cloisonnement, on communique par "boîtes aux lettres[9]". Je vais bientôt avoir 22 ans, je n'ai aucun ami, aucune amie. Je ne peux, je ne dois parler de rien à personne. Comment esquisser un début d'amitié, d'intimité en se tenant sans cesse sur ses gardes?
Vigilant, l'esprit doit veiller à ce que rien de ce que je fais ne dépasse de la norme, qu'aucun objet, aucune attitude ou parole puisse susciter la curiosité des autres. Et sans cesse il doit déceler, évaluer dans l'environnement les signes que livrent hommes, voitures, mouvements, anticiper les situations, et m'éviter la confrontation, me guider vers le calme. Mais la solitude...
Par une belle journée du mois d'août, devant la librairie Flammarion, Place Bellecour: Daniel Cordier. Nous étions ensemble à la STS 52, l'école des radios de Thame Park. Je revois, un dimanche qu'un groupe de Français Libres étaient allés déjeuner au George, un excellent restaurant d'Oxford, le chic fou de l'uniforme - bleu, filet jonquille - et du képi d'officier de chasseurs, faisant sillage dans la mer des battle-dress kaki. Esprit vif, sens de l'humour, original, la parole un peu zozotante, c'était un des plus agréables compagnons.
Chacun sur son vélo, un pied à terre, on se regarde, on regarde alentour, visages de joueurs de poker, le temps de peser la chose, de déceler ce qu'il pourrait y avoir d'inquiétant dans l'environnement.
La sécurité aurait voulu que l'on ne se reconnût point. Le plaisir de se revoir, de rompre la solitude méfiante de notre vie - enfin quelqu'un à qui parler sans crainte de faux-pas! - on rit, on déjeune ensemble chez Colette, place Antonin Poncet, un petit restaurant tenu par une blonde opulente. Colette a un ami inspecteur de police, ce qui assure la quiétude du lieu. On s'y retrouve souvent.
Daniel Cordier - BIP W - a été parachuté à la lune de Juillet 1942. Destiné à être le radio de Georges Bidault - BIP - il est kidnappé par Jean Moulin[10] - REX - qui discerne en lui les qualités qui en feront le secrétaire sans pareil de la Délégation du Général de Gaulle en France jusqu'en mars 1944.
Il m'emmène rôder parmi les rayons de la librairie Flammarion. Orgie de lecture. Daniel me fait découvrir Les Thibault, La Chronique des Pasquier, Les Hommes de Bonne Volonté, Les Copains, À la Recherche du temps perdu, le Journal d'André Gide, etc., etc.. Quel monde je rencontre là!... Moi à qui, enfant, on interdisait de lire Poil de carotte!
Au théatre antique de Vienne, on joue Antigone. Nous allons voir un soir, mais nous n'osons quand même pas aller souper chez Point[11]...
Le Secrétariat manque de moyens. Daniel a si peu d'argent qu'il a faim. C'est souvent moi qui paie nos steaks-frites de marché noir, puisque mon patron dispose de fonds plus abondants.
Un jour, place de l'Opéra, nous sortons d'un restaurant: Horreur! Tragédie! Le vélo de Daniel a été volé. Oiseau à qui on vient de couper les ailes, il contemple, effondré, le désastre. Circuler est vital au secrétaire de REX, le prix d'une bicyclette au marché noir est exorbitant, quelles acrobaties en perspective pour en trouver une autre...
Le Secrétariat manque de liaisons radio. Deux opérateurs: Jean Holley - LEO W - parachuté d'Angleterre, et un radio -BIP Y - recruté en France, essaient en vain de prendre contact avec Londres. Hervé Monjarret - SIF X - le radio de Raymond Fassin - SIF -qui avait été le premier radio à transmettre des télégrammes pour REX - a quitté les transmissions pour être officier de liaison auprès de Francs-Tireurs[12].
Gérard Brault - KIM W -, un autre ancien de Thame Park, arrivé en Juin 1942, pour être le radio de Paul Schmidt - KIM - , officier de liaison auprès du mouvement de résistance LIBERATION, reste seul à assurer le trafic de son patron et celui du Secrétariat de Jean Moulin: jusqu'à six heures d'émission par jour! Il est surmené au-delà du raisonnable et obligé de prendre des risques absurdes. Situation saugrenue: au même moment j'écoule mes télés en quelques minutes par semaine. Si peu que je ne m'inquiète pas d'un avertissement venu de Londres[13]: une équipe allemande de radiogoniométrie s'installe dans la région. .
Des messages échangés entre Londres, Jean Moulin[14] et mon patron, Jacques Soulas, organisent mon transfert du Commissariat à l'Intérieur vers le BCRA[15]. À la mi-septembre, l'écheveau bureaucratique londonien se démêle, et je passe au service de la Délégation du Général de Gaulle en France, où je commence par soulager Gérard Brault des télés de Georges Bidault, nombreux et longs[16].
Émission plusieurs heures par jour, parfois jusqu'à cinq ou six, de ma chambre à Bron, le jour. Les cristaux de quartz[17] qui devraient me permettre d'utiliser mes fréquences de nuit sont défectueux. REX est conscient du danger ainsi couru par son nouvel opérateur[18], et donc par ses transmissions. Il voudrait bien améliorer mes conditions de travail mais n'y parvient pas.
Il faut que le trafic passe. Il passe. Depuis l'âge de seize ans, radio-amateur, je pourchasse les signaux rares et lointains sur des postes de ma fabrication. J'aime ce jeu qui allie l'acuité de l'ouïe à la subtilité technique, et lorsqu'en face de moi se trouve un opérateur de haut vol pour capter les quelques microvolts que je lui lance, écouler les télégrammes est un plaisir: satisfaction du travail bien fait, plus celle de David qui fait un pied de nez au Goliath Chleuh.
L'expansion fantastique des services radio-électriques en Angleterre crée une demande de personnel difficile à satisfaire. Il faut du temps pour former un opérateur. C'est une chose de lire le Morse dans une salle de classe, et c'en est une autre d'extraire ce minuscule signal de la jungle électromagnétique. Tous, l'armée, la Royal Air Force, la Royal Navy, les services secrets, se battent sauvagement pour avoir des radios. Notre centrale parfois bouche les trous avec des apprentis: rendez-vous manqués, répétitions lassantes, dangereuses - plus longue est l'émission, plus facile le repérage - dialogues de sourds, erreurs. La température monte, la patience diminue: "La gonio est dans la rue et ces cons-là prennent le thé!"
On décoche des télégrammes furibonds à l'adresse de la Home Station: "Je ne veux plus travailler avec l'opérateur du 2 août ses signaux sont illisibles!" - "L'opérateur d'hier ne savait pas manipuler les chiffres 2, 3 et 4..." Moulin s'impatiente: "Voulez vous demander aux Anglais s'ils se moquent de nous[19]?"
De l'autre côté, ils ne sont pas contents non plus: "Réduisez la durée de vos émissions qui sont beaucoup trop longues. Rappelons qu'EEL ne doit pas prendre contact tous les jours ni plus d'une heure[20]..."
Ils n'ont pas tort: le principe, enseigné à l'entraînement en Angleterre, d'une demi-heure trois fois par semaine est devenu ici la pratique de plusieurs heures par jour. Je proteste bien auprès de ceux qui me submergent de télégrammes. "Il faut que ça passe! Tu serais dans une tranchée avec une mitrailleuse en face de toi, tu refuserais d'aller à l'assaut parce que c'est trop dangereux?" Je suis meilleur radio que dialecticien, alors je continue à émettre trop longtemps[21].
De Londres, début octobre l942: "BRANDY est en panne, aidez-le." BRANDY est un réseau d'évasion conçu par le lieutenant d'aviation Christian Martell[22], qui est parti pour l'Angleterre en décembre l941. Se rendant compte du grand besoin en mécaniciens de la Royal Air Force, il offre de revenir en France pour en recruter. Parachuté en avril 1942, il établit, avec l'aide de ses amis d'avant la guerre, une filière d'évasion qui part de Paris et va en Espagne. Avec le premier groupe de mécanos, il retourne en Angleterre rejoindre son escadrille, et laisse la direction du réseau à son frère Maurice (SIMON), qui ajoute au recrutement de mécaniciens d'aviation l'évacuation d'aviateurs alliés rescapés après que leurs appareils eussent été abattus lors de missions au-dessus de l'Europe.
L'adresse est Cours Gambetta. Il y a là un jeune radio, Jean-Louis Mérand, parachuté de Londres en août 1942, et qui ne parvient pas à prendre contact. Le poste qu'il possède est défectueux. Son plan d'émission - microphoto où figurent ses heures de rendez-vous, ses fréquences et ses indicatifs d'appel - a pour nom de code AMBRE. Je l'essaie sur mon poste. Cette fois encore, c'est évident, la Centrale n'est pas au rendez-vous. J'envoie les télés de SIMON sur mon plan.
Chez les radios, il ne s'est rien passé d'inquiétant depuis longtemps. La pression pour transmettre les télégrammes est intense. Le soutien logistique nécessaire - réseau de lieux pour émettre chaque fois d'un endroit différent, équipes de protection pour surveiller les alentours - est inexistant. Les comportements imprudents glissent vers l'absurde. Pendant ce temps la gonio Chleuh écoute et s'approche...
Radiogoniométrie.
Les Allemands sont entrés en zone 'libre' avec un service spécial pour la détection des émetteurs clandestins, le Sonderkommando Kurzwellenüberwachung, le KWU[23]. DONAR est le nom de code de l'opération, Donar, dieu de la foudre dans le Walhalla, a été bombardé saint patron de la chasse aux radios clandestins. Cent six hommes, sept appareils de gonio mobiles montés sur camion ou sur quelques-unes de leurs 35 voitures. Leur 'protection' est assurée par des inspecteurs de la Sureté Nationale française[24].
L'appareil de radiogoniométrie est muni d'une antenne spéciale qui permet de relever la direction d'où provient une émission. Trois appareils, travaillant ensemble mais éloignés les uns des autres permettent de porter sur une carte trois relèvements qui se recoupent et dont l'aire de rencontre dessine un triangle. C'est là qu'est l'émetteur recherché. Les chasseurs s'en rapprochent, réduisant peu à peu la taille du triangle où se trouve leur proie. Finalement, gonio légère à la main, ils font du porte à porte, et c'est la curée.
Aux alentours du mois d'octobre 1942, les Allemands repèrent, et les policiers français arrêtent, dans la région lyonnaise, un radio polonais et deux anglais[25]. Le l6 octobre, c'est le tour de Gérard Brault[26] - KIM W.
Un autre jour d'octobre, vers 17 heures, au cours d'une liaison, alors que je passe à l'écoute de la Centrale après lui avoir transmis un télé, je l'entends, à peine, me dire qu'elle ne m'entend plus du tout. La propagation est chamboulée.
La propagation des ondes courtes est aléatoire. On peut, en général, compter sur elle pour franchir une certaine distance, si on choisit bien son heure et sa longueur d'onde. Mais de temps à autre un phénomène, exceptionnel - aurore boréale, tache solaire, orage magnétique, etc. - peut brutalement tout modifier.
Les instructions reçues en Angleterre m'ordonnaient de toujours conduire mes émissions comme si je menais une station commerciale. Habituellement respectueux de ces règles, j'aurais dû, puisque la liaison n'était plus possible, envoyer le signal: QRT de WNG[27], et fermer la station. Paresseux? Sixième sens? Ce jour-là je n'ai rien transmis.
Le Paraset rangé, puis caché sur le haut d'une armoire - comme on m'avait appris à le faire à l'école de radio - l'antenne transférée sur le poste de TSF-alibi, qui me donne un peu de musique, et je m'allonge sur le lit, un livre à la main.
Cavalcade dans l'escalier. Grands coups cognés dans la porte, qui s'ouvre violemment. "Police! Haut-les-mains!" Une dizaine de mecs, pistolet au poing. On se croirait dans un film. Il est évident qu'ils ont l'air surpris d'avoir devant eux un môme, qui du lit où il était allongé, se redresse, l'air étonné, un bouquin au bout d'un de ses bras levés. Avec mon visage rieur, je fais plus jeune que les 18 ans de mes papiers d'identité. Ils fouillent, me fouillent, feuillettent les livres, cherchent sous le lit, sous le matelas, sous l'armoire, dans l'armoire...
On voit bien à leur figure qu'ils se sont trompés. La plupart ont l'air allemand, certains sont Français. Un des Chleuhs ne me quitte pas des yeux, des yeux gris, durs[28]. Je n'ai vraiment pas l'air d'un espion, avec mes shorts, mon grand col ouvert et mon sourire de bonne volonté: "Que cherchez-vous donc? Je peux peut-être vous aider?" L'un d'eux a trouvé un papier sur ma table. Menaçant: "Ach! Qu'est-ce que c'est, Monsieur? - Ben, heu, vous voyez, c'est la liste des postes avec l'heure où ils donnent des nouvelles. Là, Radio-Paris, la Suisse romande, Stuttgart, la BBC..." Mais ils cherchent autre chose qu'un auditeur de la radio anglaise. Après un dernier coup d'oeil, ils s'en vont.
Si je suis novice et naïf à ce jeu, eux aussi. Sur ma table: un quartz - ce cristal qui sert à stabiliser l'émission sur sa fréquence - oublié lors du rangement... Petit parallélépipède noir, qui leur faisait un clin d'oeil qu'ils n'ont pas perçu.
Assis sur le lit, un tremblement irrépressible me saisit. Piégé par mes multiples infractions aux règles de sécurité (infractions obligées par le manque de soutien logistique: émissions beaucoup trop longues, beaucoup trop fréquentes, toujours du même endroit, sans personne pour surveiller les abords[29]), j'ai été sauvé par une autre infraction, à la règle qui voulait que l'on se donne l'attitude d'une station commerciale: Dans la rue, l'équipe du KWU attendait, pour affiner son relèvement, que je revienne sur l'air. Pendant ce temps je rangeais. Si j'avais, selon la règle, annoncé la fin de mon émission, ses hommes auraient aussitôt bondi, sans me laisser le temps de rien cacher. Ainsi retardés, les Chleuhs fouillent, sans certitude, une demi-douzaine de maisons le long de la rue.
En bas, dans sa cuisine, mon propriétaire est en proie à sa propre trouille: il vient de rentrer un sac de 50 kgs de blé acheté au marché noir et il croit être la cible de ces messieurs. Comme ça lui donne l'air coupable, ils lui démontent quelques meubles.
Le calme revient. Je sors faire le tour du voisinage. Ils sont bien partis. Je descends le Paraset et mon pistolet du haut de l'armoire. Les sacoches pleines, j'enfourche mon vélo, pour ne plus jamais revenir.
Le cloisonnement avec le secrétariat est excellent. Nous n'avons de contact que par boîte aux lettres interposée, lorsque je n'ai pas de rendez-vous avec Daniel Cordier. Ils ne connaissent pas mon adresse, je ne sais pas la leur. Seuls endroits où je pourrais me réfugier: chez Jacques Soulas - SALM - mon ex-patron, ou chez Maurice Montet - SIMON - dont je viens de dépanner les transmissions. C'est lui que je choisis, car aller faire des vagues chez Soulas et déranger son excellente couverture, sa femme, ses enfants, ne me paraît pas indiqué. Pour être sûr de n'être pas suivi, je tourne, virevolte et traboule dans Lyon. Atterrissage cours Gambetta, accueil, épluchage et examen des événements. Pour l'instant je peux manger et dormir là.
BRANDY.
Au Secrétariat, on n'est pas heureux. Après l'arrestation de Gérard Brault, et mon esquive de la gonio, ils n'ont plus de liaison radio avec Londres. Un rendez-vous de repêchage - mis en place, justement, pour se retrouver lorsque les choses dérapent - me permet de reprendre contact avec Cordier. Mais ils n'ont toujours pas le moyen de me fournir un lieu sûr où habiter, ni des emplacements d'émission. La Résistance à qui on les demande, est sans doute occupée à répandre ses tracts.
Je passe un accord avec Maurice Montet, le patron du réseau BRANDY. J'assure ses transmissions, pas lourdes, mais qui lui sont précieuses, et il me fournit des points d'émission le long de sa filière d'évasion. Nous avons, son groupe et moi, des atomes crochus: j'habite avec eux. Leur ravitaillement est bien organisé, ce qui évite de s'exposer dans les restaurants.
En vérité, il n'est pas très orthodoxe de mélanger ainsi deux réseaux. Mais il faut faire avec ce que l'on a. Les volontaires aux côtés des Français Libres sont encore rares. Les gens ne croient guère à cette chimère qui nous agite: foutre dehors le tout-puissant Grand Reich.
"Ils ont battu tout le monde, pensez donc, même les Français!" et "Pétain est un grand bonhomme!", sont les clichés qui permettent de ne rien faire avec bonne conscience. Il faudra le débarquement américain en Afrique du Nord, et surtout la dérouillée de Stalingrad, pour que commencent à se réveiller ceux que leur bon sens avait engourdis.
La filière BRANDY traverse la ligne de démarcation près de Chalon-sur-Saône, avec l'aide de l'équipe d'André Jarrot[30], garagiste, ancien coureur motocycliste, de Raymond Basset, capitaine des sapeurs-pompiers, et de Pierre Guilhemon.
Je descend du train à Tournus. Dédé Jarrot est là. Je monte derrière lui sur sa moto, la valise du poste émetteur entre nous. On part à travers la campagne. Une ferme. Accents bourguignons: "Je vous ai apporté la chambre à air[31] que vous vouliez pour le vélo de la p'tite. On pourrait pas s'installer une demi-heure dans un coin?" |
| | Une pierre à un bout du fil d'antenne, lancée sur une branche de poirier, l'autre bout à la borne du poste. Prise de courant, réglages, écoute. Voici la Home Station: "WNG de RZA QRK? QTC?" La Centrale m'appelle d'Angleterre, me demande si je l'entends, si j'ai du courrier pour elle. "RZA de WNG QSA5 QTC8". Je lui réponds que je l'entends bien, que j'ai 8 télés pour elle. J'ai en face de moi un bon opérateur. En un clin d'oeil les télés sont de l'autre côté de la Manche. Je range le poste, je brûle les messages, je bois le verre de lait que notre hôte vient d'aller traire. On ne reviendra jamais au même endroit. Dédé Jarrot a des clients partout à la ronde.
Retour à Tournus, pour attendre l'heure du train de Lyon, à l'hôtel du Sauvage, ainsi nommé par son propriétaire parce qu'il avait séjourné au Canada et en avait rapporté le portrait, qui trônait dans la salle à manger, d'un Peau-Rouge toutes plumes dehors. Grande cheminée, feu de bûches, poulet de Bresse qui tourne sur la broche, dévoré, arrosé de beaujolais du coin.
Après l'arrestation de Gérard Brault, REX avait décidé de créer un service central des transmissions[32] auquel seront rattachés les opérateurs disponibles, et ceux qui pourraient être recrutés. Le Secrétariat assurerait la répartition des télés pour Londres entre les divers opérateurs selon leur programme d'émission, et la distribution des messages reçus de Londres à leurs destinataires: un bureau de poste. Le but étant de rendre les transmissions du Secrétariat moins aléatoires que lors-qu'elles dépendaient de services hétérogènes.
Humour juvénile: je trouve spirituel de nommer ce service - dont je suis le premier, et pour l'instant le seul opérateur - la WT, du sigle des transmissions de l'armée britannique[33], et comme la modestie ne m'étouffe pas, j'adopte comme pseudo le nom du dieu celte Lug.
Il m'a été suggéré par Suzanne Poncet, de l'équipe BRANDY, alors que je cherchais un pseudo ayant un peu de panache. À l'évidence, Mercure s'offrait comme patron des transmissions, mais je ne pouvais guère prendre le nom d'un dieu romain alors que nous étions en guerre contre Mussolini!
"Jules César identifiait, un peu vite, Lug à Mercure," me dit Suzanne, "mais Lug le polytechnicien est d'une autre envergure que le patron du commerce." C'est ainsi qu'à Lugdunum, capitale de la Gaule 'française', un nouvel avatar lançait LUG "dieu de toute lumière, beau et fort, poète, guerrier, musicien, magicien, et expert en tous les métiers[34]" contre les forces des ténèbres!
Daniel Cordier est l'organisateur de la WT. Le secrétariat me fournit un deuxième plan d'émission: PERCH GAMMA, doublant ainsi mes possibilités de rendez-vous avec la Home station, mes longueurs d'ondes, mes indicatifs d'appel. On me donne aussi un deuxième poste, ce qui évite des transports, à la merci d'un contrôle de police.
C'est l'avalanche. Finies les balades à vélo, les flâneries chez Flammarion. Trois émissions par semaine à Chalon, quatre à Lyon. Un ancien de Thame Park, François Briant[35] - PAL W - prend une partie du trafic, jusqu'à son départ pour la zone occupée, en décembre 42. Même Daniel Cordier, qui pourtant a assez à faire avec le Secrétariat, se met parfois à la radio. Les messages passent.
La gonio manque de discrétion. Le KWU est à présent mieux rôdé, mieux organisé, mieux équipé, avec trois stations fixes d'écoute à Brest, Augsburg et Nürnberg. Il leur faut dix minutes pour fournir aux équipes mobiles l'emplacement, à dix kilomètres près, d'un émetteur lorqu'ils l'entendent pour la première fois. Vingt à trente minutes plus tard, la gonio locale est sur place[36]. Il est maintenant rare que je puisse émettre plus d'une demi-heure sans que ma protection bourguignonne - efficace! - ne me signale l'approche d'une Mercedes-Benz grise décapotable - nous en connaissons l'aspect par coeur - à la capote anormalement ventrue.
À plusieurs reprises, j'interromps mon émission en catastrophe parce qu'un avion, équipé d'un grand cercle horizontal accroché aux ailes et au fuselage, vient de voler à ras du toit. Nouvelle forme de gonio que je ne connais pas? J'avais, avant la guerre, lu un article (d'Henri de France?) qui décrivait qu'un avion volant au dessus d'un émetteur pouvait provoquer un battement à la réception, d'où on pourrait déduire le point d'émission... Ça commence à sentir le roussi.
On râle toujours après la Centrale. Quoi de plus frustrant, alors que la gonio nous presse tant, que de repartir, télégrammes en poche, pas transmis, parce qu'on avait en face de soi un empaillé?
La guerre se complique, dit la BBC: le général Montgomery bouscule le général Rommel à El Alamein, à la frontière égyptienne et le rejette dans le désert de Libye, juste avant le débarquement américain en Afrique du Nord, qui débute le 8 novembre 1942.
Exultation, qui vire vite à la perplexité et à la frustration devant les magouilles yankees en Afrique du Nord avec l'amiral Darlan et le général Giraud.
Le ll novembre, les Chleuhs envahissent la zone "nono[37]". Sur les bords du Rhône, un motard et son side-car s'arrêtent devant moi pour me demander leur chemin. Premier face à face avec l'envahisseur en uniforme depuis notre rencontre au pays basque en juin 40. Submergé d'émotion, je leur tourne le dos et m'en vais, accompagné de jurons teutons. Ils sont vraiment bonne pâte de laisser passer cela. Et il serait temps pour moi de ne plus me laisser surprendre par les gestes futiles.
La BBC annonce une offensive allemande énorme sur Stalingrad. L'Armée Rouge contre-attaque le l9 novembre. On ne se fait guère d'illusion: les Chleuhs font ce qu'ils veulent. Surprise six jours plus tard: le général Paulus et sa VIème armée sont encerclés! Tiens! Tel est pris qui croyait prendre!
Télé de Londres à Moulin, 19.11.42: "...faites étudier par groupes-francs destruction voitures gonios de préférence dans garages..." Quelle bonne idée! Ils sont plein d'imagination à l'état-major. Mais malgré cet encouragement, rien ne saute. Les saboteurs sont sans doute encore occupés à distribuer des tracts. Les Allemands goniotent sans entrave[38]. Ça devient intenable. Ils arrivent parfois dans le quart d'heure qui suit le début d'une émission. Il vaut mieux s'en aller de la région de Tournus, malgré l'excellence d'André Jarrot et de son équipe.
A Dieulefit et alentour, à l'Est de Montélimar, la filière BRANDY dispose d'une autre étape. C'est dans la zone occupée par les Italiens. J'y fais transporter des postes. Il y a eu des parachutages, le matériel est abondant. De nouveaux postes - A Mark II - remplacent les Parasets. Les nouveaux sont un peu plus lourds, ont une puissance d'émission environ double, mais surtout le récepteur est du type 'superhétérodyne' qui, en assurant toujours une bonne sensibilité, y ajoute une stabilité et une sélectivité qui manquaient au petit Paraset.
Lorsque je grille un poste à Poët-Laval, ignorant que la prise de courant y débite une électricité à 25 périodes - ce qui nécessite des transformateurs plus gros - on peut même me fournir des alimentations qui acceptent cette fréquence. Et il en existe qui fonctionnent à partir d'accumulateurs.
Le grand nombre de postes permet à l'opérateur de faire le tour d'un circuit d'une demi-douzaine de points d'émission les mains et les poches vides. Les auxiliaires - courriers, protection - aussi sont un peu plus nombreux. En novembre l942 arrive de Londres encore un ancien de Thame Park, Georges Denviollet - FRIT W - pour être le radio de Monjarret[39]. En décembre, autre arrivage de Thame Park: Jean Loncle venu pour soulager Daniel Cordier de la direction de la WT et en organiser le développement. Hélas! il est arrêté dans le mois qui suit son arrivée.
Veille de Noël 1942. À Alger, Fernand Bonnier de la Chapelle, vingt ans, abat l'amiral Darlan. Jour de Noël: la Justice le condamne à mort. Lendemain de Noël: elle l'exécute. Giraud succède à Darlan. Le général de Gaulle est toujours tenu à l'écart de l'Afrique du Nord. J'ai du mal à suivre cette leçon en politique avancée[40].
La WT fonctionne bien. On commence à recruter des opérateurs, que je mets au courant de notre façon de travailler,et qui s'en vont ensuite vers les services qui en ont besoin. Les messages, les postes émetteurs, les plans d'émission[41], les quartz, etc., sont transportés par un réseau de courriers sous la direction d'Hugues Limonti - GERMAIN.
Mais la gonio du KWU repère Jean Holley (LEO W). Ça commence à faire des trous dans notre équipe de Thame Park: Rouxin, Gérard Brault, Jean Loncle, et Orabona qui est mort en sautant, les reins cassés. Et sans doute d'autres dont je ne connais pas le sort.
Les boîtes aux lettres cloisonnent: parfois une vraie boîte avec sa clef, dans une traboule. Parfois une cachette: le musée romain de la place des Terreaux est très ennuyeux, il y a peu de visiteurs, mais il offre mille recoins et plusieurs sorties. C'est aussi un vieux couple qui habite la Croix-Rousse, ou bien madame Bédat-Gerbaut, professeur de piano, belle femme aux cheveux noirs, chez qui je porte les télés reçus et empoche ceux à envoyer. Quai de la Part-Dieu, près du pont de la Guillotière, on pousse la porte à tambour du Secours National: la superbe madame Moret est là pour prendre, ou vous donner, les messages. La solitude du petit radio en manque d'affection, côtoyant ces femmes belles, intelligentes, gaies, courageuses, attirantes, sans vraiment jamais les aborder, quel martyre!
Le STO[42] abaisse sa limite d'âge. Pour y échapper, il me faut de nouveaux papiers d'identité, de nouvelles cartes de rationnement, qui me rajeunissent d'un an. Le secrétaire de la Mairie de Dieulefit me délivre les documents adéquats, et on peut venir vérifier les registres, ça correspond à un vrai citoyen né ici.
"REX veut te rencontrer," me dit un jour Cordier, "rendez-vous sous les arcades de la Comédie. Nous irons le long de la rue de la République. Il nous accostera au moment qui lui conviendra."
Cordier disparaît. Un homme marche à côté de moi. Je regarde ce chef, le représentant du général de Gaulle. Il regarde le radio. Les paroles que nous avons échangées ne sont plus en ma mémoire. Mais il me reste cette impression: nous parlons en gens raisonnables de la part qui est mienne de notre ambition commune. Il est capable de rire. Cet homme est un chef naturel, nul besoin de marques extérieures. Il ne réveille en aucune manière ma phobie des hiérarchies! Nous échangeons une poignée de main, un au revoir, un sourire...
BRANDY déménage, au l rue Tête d'Or. Appartement cossu, sous les combles, trouvé par la cousine de Maurice Montet. Elle habite deux étages plus bas. Quartier de la haute bourgeoisie lyonnaise, on devrait être tranquille, plus le parc à côté pour se promener, c'est-à-dire un excellent lieu de rendez-vous.
Petite mise en scène pour établir notre réputation: lors d'une visite de la propriétaire, je descends chez la cousine pour appeler notre appartement au téléphone. SIMON décroche, écoute, se tourne vers la visiteuse et dit: "Excusez-moi, Madame, c'est la Kommandantur." Et de discuter affaires avec un imaginaire membre de la commission d'armistice. La propriétaire s'en va, rassurée sur l'entregent de ses nouveaux locataires.
Dans ce petit groupe plein d'affection, je découvre le bonheur des choses partagées: amitié, confiance, humour, danger, la lutte côte à côte vers un but commun, but si désirable que nous sommes prêts à y risquer notre peau - mais à vrai dire, nous sommes tellement sûrs d'être les meilleurs, les plus forts, que cette éventualité nous semble improbable.... Extraordinaire symbiose de l'esprit qui donnait au groupe l'impression de n'être qu'un seul être, les qualités de chacun multipliant celles des autres! |
| | Nous sommes trois Maurice. On en reprénomme deux: Maurice Montet devient Michel, et je deviens François. Il y a là Suzanne Poncet, qui connaît la mythologie celte - c'est elle qui m'avait suggéré mon pseudo LUG - et pratique la danse classique. Nous en sommes tous amoureux: elle forme couple avec Maurice Yahiel[43]. |
| | Maurice Montet. Rentré de déportation sur une civière, la peau sur les os. |
| | Maurice Yahiel. Mort en déportation. |
| | Maurice sait couper le tissu et fait des robes pour Suzanne; sans doute l'esprit le plus délié de nous tous, il nous incite à poser les questions qui permettent de déceler la fragilité de nos idées reçues: le sol est jonché de préjugés démolis, de certitudes dégonflées et d'arguments qui ont perdu leur péremptoire. |
| | Suzannne Poncet. Libérée de la prison de Fresnes parce que malade, est morte peu après. |
| | Hugues de Lestang-Parade est un grand seigneur insolent, grand séducteur - ce qui lui vaut le sobriquet: Le Cardinal - qui débarque régulièrement de son Berry natal, chargé de victuailles impensables. |
| | Hugues de Lestang-Parade. Mort peu après la guerre, lors d'une opération cardiaque. |
| | Simone Yahiel, soeur de Maurice, délicieuse, potelée, gaie, sait taper à la machine. Jean-Louis Mérand - Petit Louis - le radio converti en courrier et - last but not least - Marius[44], doué d'une grande finesse pour le ravitaillement, et qui fait marcher la baraque. Certains matins, Daniel Cordier vient y prendre son petit déjeuner[45], et me remettre quelques télégrammes urgents codés dans la nuit, que je dépose en Angleterre avant midi.
L'appartement du Cours Gambetta que nous avons quitté est à présent utilisé pour abriter les voyageurs de la filière évasion: équipages d'avions abattus, réfugiés, agents en fin de mission, etc., à qui l'équipe d'André Jarrot a fait franchir la ligne de démarcation, et que les courriers de BRANDY, comme la "tante Gabrielle" - Gabrielle Picabia - première femme du peintre Picabia - ou Monique Spicquel, escortent de Paris aux Pyrénées, où ils sont remis aux passeurs qui les mènent à Barcelone.
BRANDY est à court d'argent. Il faut pourtant habiller ses aviateurs, remplacer leurs uniformes pas encore à la mode en France: acheter des vêtements est quasi impossible, même au marché noir. Quelques télégrammes organisent un parachutage qui se fera aux Gours, la propriété des parents d'Hugues de Lestang-Parade, à St Baudel, dans le Cher.
On écoute la BBC[46]. Un message doit nous avertir que c'est pour demain, un autre que c'est pour ce soir. "Le Cardinal part en voyage" est la phrase qui nous met en route. Bien sûr le radio n'a rien à faire dans cette aventure. Il court assez de risques, et il n'est pas raisonnable d'y ajouter celui d'un parachutage. Mais comment résister à la tentation de rompre la monotonie avec quelque chose d'aussi excitant: les Allemands s'étendent à la ronde, et nous en plein milieu, on reçoit des colis de nos copains anglais?
Train de Lyon à Bourges. Tortillard jusqu'à St.Baudel. Il y a un arrêt devant la propriété. On s'enfonce dans les bois. Il ne faut pas se faire remarquer. Pas même les parents d'Hugues savent ce qui se trame dans leurs prés. Une grange est un peu à l'écart: on s'y installe pour attendre, et casser la croûte. Hugues va dîner avec ses parents pour pouvoir écouter la BBC. La phrase attendue: "Le Cardinal viendra dîner."
C'est parti. Hugues a entendu le message. Nous allons sur le terrain, avec des couvertures car il fait froid. Répétition: il faut trois lampes rouges avec des intervalles de cent mètres, alignées dans l'axe du vent. Une quatrième, blanche, à cinquante mètres à angle droit de l'extrémité au vent. C'est celle-là qui doit signaler en Morse la lettre de reconnaissance. L'avion répondra avec sa lettre.
La lune à présent est haute dans le ciel. Enroulés dans les couvertures, l'attente est monotone. On dormirait bien s'il ne faisait si froid. Un ronronnement? C'est eux? Non. Le temps s'étire. Ils ne viendront pas...
Hé! Tu entends? Pas d'erreur, c'est un avion. Le nôtre? On imagine très bien un avion de chasse allemand tirant sur des faiseurs de signaux à terre, dans le black-out. Le bruit des moteurs se rapproche.
Une silhouette d'avion sort de l'horizon d'arbres et au clair de lune se découpe dans le ciel. Le radio au sol, avec sa lampe, fait en Morse un C. L'avion renvoie le L convenu. C'est bon! Il disparaît mais on l'entend encore, murmure lointain. Le voici qui revient, plus lent, plus bas. Nos lampes allumées sont pointées vers lui. Tel un prestidigitateur il tire de son fuselage cinq oeufs qui se changent en grosses fleurs, se balancent, descendent lentement.
On court vers elles. Un parachute s'accroche dans un arbre. On le décroche. Vite, il faut faire disparaître toutes les traces. Les parachutes et les containers sont d'abord cachés le long de la haie. Puis on écoute: avons-nous été vus, entendus? Rien ne bouge, le silence s'étend à la ronde.
Portage jusqu'à la grange. C'est lourd, personne ne se plaint plus du froid, on transpire. Tout est là? Les lampes? Les couvertures? On ouvre les containers: bourrés de vêtements à l'intention des aviateurs du réseau d'évasion. En voici un différent: quelques mitraillettes Sten, pistolets, grenades, un poste émetteur, du café, du chocolat, des cigarettes, une boîte de cigares. On croque, contents de soi, dans le matin qui se lève.
On a aussi trouvé un bon paquet de dollars. Ils seront échangés pour des francs auprès d'industriels lyonnais: quoi de plus satisfaisant que de mettre, d'un geste patriotique, son argent à l'abri? Le réseau a besoin de pas mal de fric. Il faut nourrir les voyageurs, et ceux qui les escortent, au marché noir bien sûr, payer les passeurs, un pot-de-vin ici et là... Retour à Lyon.
Gestapo.
Quel est donc ce bruit? Dans la rue, dans la nuit, au coin du Boulevard des Belges et de la rue Tête d'Or, des voitures viennent d'arriver, des projecteurs s'allument, éclairent la façade, des gens s'agitent. Les Chleuhs!
On file au grenier, où nos armes sont cachées. On ouvre le vasistas. S'ils viennent chez nous, on leur lâche les grenades sur la tête et on se sauve par les toits. On attend sans bouger, silencieux, pistolets et mitraillettes armés, grenades prêtes à être dégoupillées. Tard dans la nuit ils s'en vont. Pourtant ça nous intrigue, ce raid dans l'immeuble juste à côté du nôtre. Il fait partie des numéros du Boulevard des Belges, mais son entrée fait un angle, et on pourrait facilement confondre, et se croire au l rue Tête d'Or, notre adresse... La nuit a été bien courte en sommeil.
Télégrammes.
Le général allemand Paulus, que les Soviétiques ont encerclé à Stalingrad en novembre dernier, vient d'être élevé à la dignité de maréchal, juste à temps pour, le 2 février l943, se rendre à l'ennemi[47]. Les Russes ramassent 91 000 prisonniers, dont 27 généraux. Les Allemands ont eu 200 000 tués. Mais alors? Les Chleuhs aussi peuvent être défaits!
Justement: Raymond Fassin, l'officier de liaison auprès de COMBAT - à qui il demande depuis longtemps, en vain, que l'on cherche noise à la gonio allemande - s'impatiente et demande à un saboteur des FTP de s'en occuper: deux voitures gonios sautent devant l'Hôtel Terminus, siège de la gestapo, le 13 février 1943.
Cette même nuit, deux Lysanders atterrissent près de Lons-le-Saunier et décollent, l'un emportant Jean Moulin en Angleterre. La WT est surmenée: il faut le tenir au courant et recevoir ses réponses. Même Cordier passe des télégrammes et on demande à la Centrale des rendez-vous supplémentaires pour pouvoir écouler le trafic.
J'émets à présent surtout de la Drôme. Est-ce la distance qui m'est favorable? Ou d'être entouré de montagnes qui réduisent l'onde de sol, la plus dangereuse? Ou le fait que je sois en zone d'occupation italienne? Ou la récente explosion de leurs voitures qui refroidit l'enthousiasme des équipes de gonio? Toujours est-il que ceux qui me protègent n'en voient aucun signe.
Je travaille quand, et aussi longtemps qu'il est besoin, dans la mesure où la Centrale anglaise veut bien coopérer. Il y a maintenant abondance de plans d'émission[48], ce qui me donne un choix de fréquences et d'heures de rendez-vous, une variété d'indicatifs d'appel tels que le repérage gonio doit être bien frustrant pour les Allemands.
Surmenage. Mauvaise humeur contre la Home Station. Hargneux, certains messages qui viennent de France: on se plaint de textes mutilés, de rendez-vous manqués, de retards ou d'absences de la Centrale. Certains de leurs opérateurs sont peu croyables tellement ils sont mauvais. Un jour, je m'énerve, et transmets en code Q[49] une protestation indignée: QSF?
Soupçon. Pas croyable qu'ils soient aussi mauvais? Et s'ils n'étaient pas vrais? On pourrait imaginer une manoeuvre du KWU, parvenant à se glisser sur la fréquence de la Centrale, se substituant à elle, provoquant ces répétitions interminables, visant à nous faire rester plus longtemps sur l'air, à nous faire commettre des imprudences par exaspération, pour mieux nous repérer. Hum. Lorsque je tombe sur une cloche, je n'insiste plus.
Quelque théoricien d'état-major a décrété que nous ne devons pas transmettre plus de trois télés à la fois, et à présent la Home Station refuse d'en accepter davantage. Le radio est coincé entre le rédacteur de télégrammes qui râle devant la lenteur des transmissions, et la gesticulation 'sécuritaire' des Anglais. Je demande des rendez-vous supplémentaires pour écouler le surplus de télégrammes, ils ne sont que rarement accordés.
Télé de Cordier à Londres: "Si la Centrale faisait correctement son travail nous ne serions pas obligés de rester sur l'air si longuement... Nous restons seuls juges du temps de sécurité que nous imposent les circonstances. Ce n'est pas à ceux qui risquent de se soumettre aux fantaisies paresseuses de ceux qui ne courent aucun danger."
Télégramme de Londres pour moi: "Vous avez commis une erreur de codage et en conséquence votre code est brûlé. Nous vous en envoyons un autre." J'aurais utilisé deux fois de suite la même combinaison de codage, un vrai cadeau, paraît-il, au service de décodage ennemi. Stupide faute d'attention, qui m'étonne: serais-je fatigué? En attendant mon nouveau code, Raymond Fassin, l'officier de liaison auprès de COMBAT, pour qui je transmets souvent des télés, chiffre mes messages dans le sien.
Télé de Londres à REX: "Veuillez rappeler à vos radios que leurs émissions ne doivent pas excéder une demi-heure." Alors qu'il nous faut parfois vingt minutes pour prendre contact avec la Centrale!
Mars 1943: Cordier rencontre André Montaut - MEC W - par hasard dans la rue. Encore un ancien de Thame Park. Il a été parachuté en mai 1942, son patron - MEC, René-Georges Weil - presqu'aussitôt arrêté, avait avalé sa pilule de cyanure. Montaut, depuis, errait, perdu dans la nature. On l'embauche dans la WT.
Une tentative d'évasion pour faire sortir Gérard Brault de prison échoue, manquée parce qu'elle coincide avec un coup monté par l'Intelligence Service qui fait évader une dizaine des siens[50]. On apprend que Jean Loncle et Jean Holley, arrêtés en janvier, sont à Chambéry, aux mains de l'OVRA, l'équivalent italien de la gestapo.
La Délégation ouvre une succursale à Paris, fin mars. Daniel Cordier en est le secrétaire. J'hérite de la direction de la WT. Mon aspect jeune et rieur, si utile pour passer à travers les contrôles de police, me dessert auprès de ceux que seule une mine tragique impressionne. Faire la guerre en riant, ça n'est pas sérieux.
Le jeu qui consiste à émettre des ondes électro-magnétiques au nez et à la barbe des Chleuhs me plaît bien. J'y suis habile. Etre chef ne m'excite pas. Je n'ai ni la formation ni le penchant pour l'organisation des autres. Donner, ou recevoir, des ordres m'embête. Le panier aux grades n'est pas ma tasse de thé.
Mais comme Daniel me laisse une organisation qui tourne toute seule, et que Hugues Limonti - GERMAIN - maîtrise bien le réseau des courriers, je n'ai guère de problème.
À Paris, la Délégation n'est pas encore installée. Pas de secrétariat, ni de service de courrier, pas de radio. Daniel Cordier emmène MADO - Laure Diebolt - sa secrétaire, les courriers Léopold Van Dievortt, Suzette Olivier. FERNAND[51], un radio de marine recruté en France et que j'ai formé à nos méthodes, va avec eux et emporte un poste émetteur et le plan d'émission TAMAR.
Il n'est pas certain que ce plan d'émission fonctionne à Paris. Ses cristaux de quartz (qui donnent la longueur d'onde de l'émission) ont été choisis pour bien couvrir la distance entre Lyon et l'Angleterre, environ 700 kms. Ils ne conviendront peut-être pas à celle qui sépare Paris de la Home Station, 300 kms. Par précaution, on organise un courrier pour apporter les télés du secrétariat parisien à la WT lyonnaise: excellente idée, qui sera appliquée pendant plusieurs semaines.
Innovation: le Broadcast. Un émetteur puissant, automatique, donc avec un Morse de bonne qualité, répétant chaque mot, envoie les télés d'Angleterre à destination des clandestins.
Broadcast: c'est le geste du semeur. C'est la station grand public, Radio Londres, qui jette les télés en l'air: aux destinataires qui connaissent les heures et les fréquences qui leur sont attribuées d'écouter si leur indicatif s'y trouve, et alors de les saisir. Plus besoin de prendre contact, il suffit à chacun de passer à l'écoute à l'heure dite et de copier ce qui lui est destiné. Aucun risque d'être repéré par le KWU: la gonio est impuissante contre ce système.
On remplace des noms de code: de SALM W je deviens ROLS. On change les plans d'émission pour d'autres, plus élaborés. EEL, mon fidèle depuis le début, mon favori, celui qui passait quand les autres s'embrouillaient, est accompagné de EEL BLUE et EEL RED. D'autres plans arrivent d'Angleterre: GANGES et RHONE en avril; et en mai: TAGUS, PIKE RED et BLUE. On ne peut pas se plaindre, il y a du matériel. Je reçois même des compliments: "Félicitations pour votre travail! Section chiffre nous apprend que votre codage est parfait!"
Les maquis s'agrandissent pour permettre aux jeunes hommes d'échapper à l'obligation d'aller travailler en Allemagne. L'importance de celui du Vercors est telle que la WT lui fournit un de ses opérateurs, avec le plan d'émission VOLGA.
Raids alliés sur l'Allemagne, de plus en plus écrasants: plusieurs milliers de tonnes de bombes à la fois. On va peut-être finir par la gagner cette guerre? C'est le Printemps. |
| | L'auteur à Lyon, Printemps 1943. |
| | [1] Il se pourrait bien que la cigale soit inconnue au Nord de Lyon. Si c'est le cas, mettre ce faux pas entomologique au compte de la licence poétique .
[2] Diethelm était Commissaire à l'Intérieur, au Comité Français de Londres.
[3] Jean Moulin est une exception: il a été parachuté sans radio, et n'en aura d'attitré que lorsqu'il dotera son secrétariat d'un service de transmission en octobre 1942.
[4] 27.5.42. à SALM via SR polonais #1 "...vous envoyons Cheveigné cette lune en zone libre il passera chez oncle Gabrielle si absent chez Berger..."
[5] 15.6. 42. de SALM SR polonais #5: "...EEL (Cheveigné) essaie d'entrer en contact depuis une semaine. Il a entendu la Home Station une fois, mais ne paraît pas se faire entendre lui-même..."
[6] J'ai appris bien plus tard que mon service avait oublié de prévenir la Centrale anglaise de la mise en route de ma station. (Note pour le capitaine Bienvenue, du l9 juin l942. Archives du BCRA.)
[7] Les transmissions seront souvent difficile. Par exemple: Progress report #44, fortnight ending July 7th, 1942: "WT communications in general have been very bad and EEL as well as PERCH have complained bitterly in this respect". ( Les transmissions radios ont en général été très mauvaises, et EEL, tout autant que PERCH, s'en sont plaint amèrement).
[8] Parmi les télés de Jacques Soulas envoyés (codés, donc je n'en connaissais pas la teneur) à cette époque, et que j'ai retrouvés aux archives, un rapport du préfet de police de Paris: "...dix neuf mille Juifs arrêtés les l2,13 et 14 juillet 1942 par la police française. Trois cents suicides. Des enfants d'un mois séparés de leur mère..."
[9] Endroit convenu pour déposer et prendre du courrier sans contact personnel.
[10] Bien entendu, je ne connaissais pas alors le vrai nom de Jean Moulin. Pour moi le patron de Cordier s'appelait REX, et il était le représentant du général de Gaulle.
Préfet d'Eure-et-Loir au moment de l'armistice, Jean Moulin a été le seul préfet de France à risquer sa carrière et sa vie en refusant la collaboration. Il est parvenu à sortir de France en été 1941 pour aller en Angleterre, où il a rejoint le général de Gaulle.
Le ler janvier 1942 il a été parachuté en France, avec pour mission de représenter le général de Gaulle et d'unifier les divers Mouvements de Résistance en un combat cohérent.
[11] Qui avait la réputation d'être le meilleur restaurant de France.
[12] Un des principaux Mouvement de Résistance.
[13] 4.9.42. Londres à SALM #7 "...Croyons savoir de bonne source que radio gonio boche s'installe à Lyon..." La gonio permet de localiser le point d'où provient une onde radio. C'est l'ennemi principal du radio clandestin. Chaque fois qu'il émet, c'est comme si, toreador, il agitait une muleta devant un taureau électronique.
[14] 1.9.42. Londres à REX/Moulin: "...SALM dispose d'un bon radio qui est en contact avec nous étudiez question son utilisation..."
[15] Bureau Central de Renseignement et d'Action, l'organe principal des services secrets de la France Libre.
[16] Voir Annexe 1.
[17] qui stabilisent la fréquence/longueur d'onde de l'émission.
[18] Télé de REX/Moulin à Londres 19.9.42: "...très mal installé dans chambre garnie où il loge et émet pour émissions prolongées a besoin installation sérieuse que lui procure..."
[19] Télé de REX/Moulin à Londres. 7.9.42.
[20] Télé de Londres à BIP/Bidault. EEL est le nom de code de mon plan d'émission, et par extension. est devenu le mien.
[21] Quelques uns de ces télés sont en annexe.
[22] de son vrai non Christian Montet. De nombreux volontaires en Angleterre changeaient de nom pour ne pas attirer de représailles sur leur famille en France.
[23] Gottlieb Fuchs, l'interprète de Klaus Barbie, dans son livre Le Renard, p.61, écrit que le Sonderkommando KWU dépendait de l'Abwehr, mais qu'avec l'installation de Barbie à Lyon, il était passé sous contrôle du SD.
- Dans son Histoire de la Gestapo, p.382-4, Jacques Delarue écrit que le service de l'Abwher avait pour nom Fahndungfunk, et qu'un deuxième service existait: Wehrmacht Nachrichten Verbindung Funk. Delarue écrit aussi qu'un accord entre deux officiers français et l'Abwehr, à l'hôtel Lutetia à Paris au début de septembre 1942, permit l'entrée en zone Sud le 28 septembre 1942 de l'opération DONAR.
[24] Pour conserver la fiction de souveraineté de Vichy sur la zone non occupée.
[25] L'un d'eux est Brian Stonehouse (CELESTIN) arrêté avec son courrier Blanche Charlet le 24 octobre 1942. (MRD Foot: SOE in France)
-Jacques Delarue - Histoire de la Gestapo p.384 - écrit: "Quand le coup de filet fut donné, les quelques quinze ou vingt postes situés dans la région lyonnaise tombèrent à la fois." Chiffre hautement improbable, selon SOE.
Les inspecteurs de la Sureté Nationale ont évidemment fait des rapports sur leur collaboration, avec les agents de l'Abwehr, et on devrait pouvoir y trouver le nom des radios arrêtés. J'ai essayé, en 1990/91, mais le ministre de l'Intérieur n'a répondu à mes requêtes de consultation des archives que d'une manière dilatoire, ou pas du tout.
[26] Courrier de Paul Schmidt -KIM- à Londres. 25.10.42 : "Le vendredi l6 octobre 1942 Gérard Brault, qui travaillait pour envoyer les derniers messages d'opérations avant de partir sur la côte où il devait prendre quelques jours de repos en raison de son mauvais état de santé a été arrêté. L'effectif mobilisé à cet effet comptait l2 gestapo et 3 inspecteurs de la Sureté Nationale française qui pratiquèrent l'opération proprement dite. Les interrogatoires ont eu lieu à la brigade de police de Sureté de Lyon, en présence des fonctionnaires allemands ayant participés à l'arrestation."
[27] QRT signifie: j'arrête mes transmissions, et WNG était l'indicatif de ma station.
[28] La presse a publiée récemment des photos de Klaus Barbie. Je lui trouve une grande ressemblance avec mon visiteur de ce jour-là. Mais la mémoire...
[29] Il est permis de s'étonner, à lire les ouvrages qui décrivent l'importance des Mouvements de Résistance à cette époque, qu'ils n'aient pu fournir la logistique nécessaire à la protection des transmissions du Secrétariat du Représentant du Général de Gaulle en France: lieux sûrs pour les émissions, équipes de protection, sabotages contre les voitures gonios...
[30] Il sera plus tard maire de Monceau-les Mines, député, ministre, sénateur.
[31] En dehors de son charme bourguignon débordant, Dédé Jarrot savait la façon de s'attirer la bonne volonté des populations. Etant garagiste, il pouvait importer de zone occupée des pièces détachées de vélo, à condition d'y exporter ensuite la quantité de vélos assemblés correspondante. Ce qu'il faisait consciencieusement.
Mais dans le noir de la nuit, quittant sa casquette de garagiste pour celle de contrebandier, il ramenait quelques vélos en zone libre. Puis plus tard, redevenu garagiste, il les représentait une deuxième fois à la ligne de démarcation, obtenant ainsi, avec les mêmes bicyclettes, un nouveau crédit de pièces détachées! Un excellent matériau d'échange...
[32] télé de Moulin,4.11.42 :..."organise circuit postes pour rotation émissions en vue diminuer durée transmissions besoin urgent matériel..."
[33] Wireless Telegraphy. Télégraphie sans fil.
[34] Yann Brekilien, dans "La Mythologie Celtique", Editions Jean Picollec, décrit LUG comme un dieu de progrès: "L'attribut principal de LUG est un javelot, arme de jet beaucoup plus moderne que la massue de DAGDA et mettant à portée de la main meurtrière du guerrier des objectifs éloignés. C'est pourquoi il est aussi surnommé, en Irlande, "LAMFADA", Longue Main. Il se sert également de la fronde, premier engin de guerre sophistiqué, le premier d'une série qui de perfectionnement en perfectionnement, finira par aboutir aux missiles sol-sol porteurs de bombes à neutrons."
C'est le parrain idéal pour un jeteur de messages à travers les airs.
[35] Noguères dit: Jean Briant. Combat des Ondes dit: Charles Briand. PAL W transmettait sur le plan ROACH.
[36] Archives du BCRA, source MI6.
[37] non occupée.
[38] Il faudra attendre la mi-février 1943 pour que deux voitures gonio sautent devant l'Hôtel Terminus à Lyon. Sabotage finalement demandé, devant le manque d'enthousiasme de COMBAT, par Raymond Fassin (SIF) aux FTP.
[39] Ancien radio de Raymond Fassin. Montjarret (SIF X - X sans doute parce que parti en mission parmi les premiers, avant l'emploi de W pour désigner les radios?) a quitté les transmissions en juillet 42 pour devenir officier de liaison auprès du mouvement FRANCS-TIREURS, sous le nouveau pseudo de FRIT.
[40] Dans une émission de France Culture, "L'Histoire en Direct" ayant trait à Jean Moulin, le 14 novembre 1988, H. Noguères a déclaré que sur leur État-Civil, Darlan et Bonnier de la Chapelle ont la même mention: "Mort pour la France".
[41] 3 nouveaux plans: MACKEREL, NIGER et VOLGA.
[42] Service du travaille obligatoire en Allemagne.
[43] Il sera déporté et mourra à Dora, l'usine de fusées V2 installée sous la montagne du Harz, d'abord un Kommando de Buchenwald, puis promue en 1944 Konzentration Lager Mittelbau, dont les trente six mille morts seront le fondement de la carrière américaine du célèbre ingénieur Herr Wehmer von Braun.
[44] Basso Vanni, de son vrai nom. Il sera déporté.
[45] Là aussi rupture de sécurité: Il ne devrait pas connaître notre adresse, mais l'urgence des télés ajoutée à la qualité des petits déjeuners de Marius...
[46] La BBC, dans ses émissions en français, avant les nouvelles, diffusait, plusieurs fois par jour, des "messages personnels" destinés aux clandestins, dont le vrai sens était, caché. Par exemple, une phrase come "N'oubliez pas d'aller au marché" pouvait avertir une équipe donnée qu'un parachutage serait fait sur leur terrain ce soir; ou encore, pour gagner la confiance d'une recrue potentielle, on lui demandait une phrase bien à lui. D'entendre cette phrase un ou deux jours plus tard à la BBC lui démontrait qu'il avait affaire à un agent allié, et pas à un Allemand.
[47] Stalingrad, le début du jusant de la marée nazie. Quelques millions de cadavres plus tard, des pays entiers, des millions de prisonniers étaient libérés.
[48] Mise en route mars 1943: SEINE, NILE, LIFFEY, TAMAR, DANUBE, SPREE.
[49] Le code Q, à l'usage surtout des télégraphistes qui utilisent le Morse, permet avec trois lettres de signifier de longue phrase, en n'importe quelle langue. L'opérateur anglais qui reçoit QSF? comprendra que je lui demande: Are you keying with your foot? (Est-ce que vous manipulez avec votre pied?) Une remarque peu flatteuse.
[50] Gérard Brault s'évadera en juillet 1943, avec l'aide d'Anne-Marie Bauer et de canonge, emmenant avec lui un de ses gardiens de prison jusqu'en Angleterre (Noguères). KIM W deviendra SÉNÉGALAIS pour une deuxième mission en France.
[51] Baudry. Arrêté en janvier 1944, il a disparu. |
| | | |
|