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"Dans "1061 Compagnons" de Jean Christophe Notin page 119
Chez les officiers du 1er régiment de spahis marocains, la tendance semblait pencher en faveur de la poursuite du combat. Au mess, le lieutenant Harry de Villoutreys de Brignac s'est ainsi fait reprocher de préférer, en cas de défaite, "vendre des cacahuètes en Argentine plutôt que d'accepter la férule allemande". Honte à lui ! Ses confrères lui ont rétorqué qu'il se devait de riposter les armes à la main. Pourtant, quand le capitaine Jourdier, officier iconoclaste, établit, le 29 juin, un plan sommaire pour faire passer son escadron en Palestine, c'est à Villoutreys qu'il se confie : tous les autres ont oublié leurs protestations de courage. Entre-temps, Mittelhauser a amorcé son pas de deux et, du 24 au 28 juin, tourné casaque. Seul Larminat persiste, mais il a été arrêté. Les unités susceptibles de fuir sont injoignables. Certaines auraient renoncé, ou été contraintes de revenir sur leurs pas. Les informations qui filtrent à Rachaya, base de l'escadron Jourdier, sont trop partielles, ou périmées. Le capitaine se retrouve ainsi quasiment seul face au choix drastique. Sans même connaître l'appel du Général contrairement donc à ce que croyaient ses hommes, Ballarin et Arainty , à contre-courant de sa hiérarchie, il réunit ses sous-officiers au soir du 29 juin et les informe de son refus de se soumettre à l'armistice. Sans rien révéler de plus pour ne pas gaspiller ses chances. Puis il prévient Villoutreys de ne compter que sur eux deux. Le lendemain, il entend certains membres du PC gloser sur le "retournement d'alliances" que devrait opérer la France. C'en est trop !
La reconnaissance de la frontière palestinienne doit s'opérer en soirée. L'escadron, à cheval et en tenue, part longer la rive droite du Litani. Jourdier s'entretient rapidement avec Villoutreys. Il prévoit de parler à la troupe à un carrefour précis dont il proposera de suivre l'embranchement de gauche qui conduit en Palestine, plutôt que celui de droite prévu par la mission. Parvenu au lieu annoncé après moins d'une heure de patrouille, Jourdier s'adresse à ses hommes :."Voici les deux chemins, le bon et le mauvais. Que ceux qui ne renoncent pas à se battre me suivent, je ne me retournerai pas, et je les compterai ce soir". Pas un spahi de l'escadron ne lui fait défaut. Un hurrah! ponctue l'événement, mais celui qui le hurle flanchera par la suite...
Quelques minutes après les rattrape au galop le commandant d'un autre escadron du GRI.
- Pourquoi ne m'as-tu pas prévenu? s'insurge-t-il auprès de Jourdier, tout le monde serait venu.
En fait, Jourdier a effectivement pensé à prendre langue avec les autres officiers du GRI, mais le temps lui a manqué.
- Attends jusqu'à demain, je ne suis pas prêt aujourd'hui, ajoute son camarade.
Mais Jourdier refuse :
- Aujourd'hui je pars, personne ne m' arrêtera. Demain, tu ne le pourras pas.
Ces choix-là ne supportent pas l'indécision. De fait, Jourdier ne verra poindre en Palestine aucun des autres officiers de son groupe de reconnaissance. Bien au contraire. Un autre messager l'accoste peu après en side-car, alors que l'escadron s'abreuve dans le Jourdain. Il s'agit de l'adjoint du commandant du GRI qui tente de le dissuader de son geste. En vain, pour Jourdier. Un de ses pelotons, commandé par un indigène, revient cependant sur sa décision et fait demi-tour, excepté le maréchal des logis Gilbert Vergne.
La frontière est franchie par tout le reste de l'escadron, le lendemain, sans obstacle. Dans la nuit du 30 juin au 1er juillet, ce sont deux autres pelotons qui faussent compagnie au bivouac dans les gorges du Jourdain. La marche vers la France Libre n' a rien d'une voie royale ! Elle risque même de tourner au massacre quand, quelques heures plus tard, le fleuve franchi, les derniers fidèles de Jourdier entendent les fuyards installer en batterie les mitrailleuses qu'ils ont dérobées. Heureusement Ballarin a eu l'intuition salvatrice de les trafiquer avant de se coucher. Sans lui, l'escadron terminait dans la fusillade générale l'escapade syrienne. Mais l'écrémage ne s'arrêtera pas là. Car si le 2 juillet, à Roshpina, Jourdier récupère, chez des cavaliers anglais, quelques spahis qui ont fui individuellement, ainsi que l'adjudant Arainty qui, chargé du convoi muletier, accuse du retard, une vingtaine d'hommes de l'escadron optent encore, quatre jours plus tard, pour le retour en Syrie. "
www.francaislibres.net Laurent Laloup le mercredi 17 octobre 2007 - Demander un contact La page d'origine de cette contribution Recherche sur cette contribution | |