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« Mémoire de guerre d’un Français Libre » de Louis Leclerc " 27 novembre. — La série noire continue. Aujourd'hui à 13 heures je reçois l'ordre de relever Novello qui vient d'être tué, mon meilleur ami, c'est affreux ! J'attends mes hommes. C'est urgent, les blindés nous attendent.
28 novembre. C'est un 88 qui est arrivé en plein milieu du pont que terminait la section Novello, un obus en plein dans un groupe d'hommes. Novello et Masson ont été tués sur le coup, il y a beaucoup de blessés, un vrai carnage, la section est H.S. Nous avons travaillé d'arrache-pied, avec encore des arrivées à droite et à gauche, je me suis dépensé rageusement en entraînant les sapeurs, quand donc finira cette hécatombe ? Nous avons travaillé toute la nuit et quand nous avons été relevés par la 2e compagnie le pont était presque terminé. Je revois et revis ces événements avec les larmes aux yeux, autant pour la mort de Novello que pour le courage et l'abnégation de nos sapeurs. Eux aussi ont travaillé sans relâche pour venger leurs camarades, et pourtant, comme nous tous, ils sont épuisés. Oui, ce sont de vrais braves, ceux qui travaillent en silence et ne s'arrêtent que la mission accomplie.
Nous couchons à Dolleren. L'ennemi essaie de s'accrocher, les bombardements d'artillerie n'ont pas arrêté de la nuit, ils ont dû recevoir des munitions ; nous sommes tellement fatigués qu'il faut un éclatement vraiment proche pour nous réveiller. Je pense quelquefois à la paix, à des nuits douces et calmes, où l'on pourrait dormir sans entendre ces bruits de mort.
18 heures. — J'ai conduit tout-à-1'heure Novello et Masson au cimetière de Giromagny. Le départ a été très émouvant, les rescapés de sa section étaient effondrés. C'est une perte pour tous, pour la France, mais aussi pour moi. Novello était breton, un peu secret pour ceux qui ne le connaissaient pas, mais c'était un grand cœur et c'est une riche amitié qui nous liait. Bien sûr, c'est la guerre, c'est une mort qui en vaut une autre, mais on ne peut penser cela que dans le feu de l'action, après on pense aux mères, aux épouses, aux sœurs, aux fiancées, à la jeunesse perdue...
20 novembre. — J'ai donc pris, par la force des choses, la suite de Novello au commandement de la 1re section de la 3e compagnie. J'essaierai d'être à la hauteur de mon ami, c'est ce que je viens de dire à mon hommes que j'ai réunis. Je les ai assurés qu'ils pouvaient compter sur moi en toutes circonstances et je leur ai mis du baume au cœur en leur parlant de la prochaine relève de la Division.
Nous sommes allés à Oberbruck retirer un camion grue touché par un coup direct et incendié, ainsi qu'un autre basculé contre un arbre par une mine, près de Sewen. Poussé jusqu'à Rimbach, déminage d'un raccourci, le tout sous un bombardement de roquettes, je touche du bois, aucun blessé dans la section. Par contre, le lieutenant Gaussen, adjoint au Commandant de compagnie, et le sergent Robin sont blessés et évacués." Laurent Laloup le vendredi 19 décembre 2008 - Demander un contact Recherche sur cette contribution | |