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" Il est plus étonnant encore de constater comment de simples contrôles de routine qui, en principe, ne devraient pas déboucher sur une arrestation, déchaînent la violence de militaires français refusant de se plier à l’autorité de la police militaire. Les gendarmes en font les frais dès le lancement de la prévôté, en janvier 1942. Effectuant une patrouille de nuit, deux gendarmes croisent un soldat FFL dont ils veulent contrôler l’identité :
« Nous invitons ce militaire à nous présenter ses pièces ; il déclare ne pas nous connaître. Après avoir décliné nos qualités, le sergent Auberger a, avec sa lampe de poche, éclairé son brassard de la police militaire. Aussitôt le militaire a pris la fuite ; le sergent Gicquel l’a saisi au passage par le bras. Le militaire qui était légèrement pris de boisson, a frappé le sergent Gicquel à coups de poing et de coude. En voulant le maîtriser, les sergents Gicquel et Flachat sont tombés avec ce militaire qui s’est blessé à la face. Nous lui avons passé les objets de sûreté aux poignets, à ce moment il nous a traités de : “Salauds, enculés, andouilles !”, puis il a déclaré : “Ne vous en faites pas vous aurez chacun votre raclée !” Nous avons parcouru avec lui environ deux cents mètres et, à nouveau, il nous a porté des coups de coude(81). »
Ramené à Carlton Gardens – la prévôté ne disposant pas encore de locaux disciplinaires – et remis au sergent de garde, le militaire assène un ultime coup-de-poing à la nuque du sergent Gicquel qui avait tourné les talons. Cette rébellion semble gratuite, le militaire contrôlé n’ayant commis aucune infraction avant de s’en prendre aux gendarmes. Un cas similaire et révélateur d’une certaine hostilité des militaires français se produit un an et demi plus tard : le sergent-chef Yves Gallo des parachutistes, contrôlé par les gendarmes, se rebelle et tente de s’enfuir, bien qu’il soit en règle. Sa version des faits rejoint en partie celle des gendarmes :
« Je me nomme Le Gallo, Yves, suis âgé de trente ans, sergent-chef de la compagnie du dépôt de l’infanterie de l’air […], croix de guerre avec palme, citation à l’ordre de l’arme du 7 mars 1940, médaille de Libye et de Syrie le 10 juillet 1942. Je revenais du BCRA voir le capitaine Dutey et me promenais dans Picadilly lorsque deux gendarmes en service m’ont arrêté pour me demander ma permission. J’ai donné ma permission au gendarme, chef de service, sans aucune difficulté. Ce gendarme m’a rendu ma permission après l’avoir contrôlée. À ce moment il m’a fait une remarque au sujet des galons que je portais sur les pattes d’épaule. Je lui ai répondu que je n’avais aucune connaissance de la note dont il parlait. À ce moment, je suis parti, mais le gendarme est revenu auprès de moi, me disant qu’il allait faire un rapport. C’est alors que, perdant la tête, j’ai frappé le gendarme d’un coup-de-poing à la figure. Il est tombé à terre et j’ignore si je l’ai blessé. Les gendarmes ayant demandé main-forte à la police anglaise, un policeman m’a arrêté et conduit au poste sans difficulté. Je regrette mon geste et tiens à faire des excuses au gendarme.(82) »
Finalement, près de la moitié des agents de la prévôté ont, entre 1942 et 1944, subi des violences physiques de la part des militaires français qui, pour un grand nombre d’entre eux, acceptent mal l’autorité d’une force déconsidérée à leurs yeux." Laurent Laloup le samedi 04 novembre 2017 - Demander un contact La page d'origine de cette contribution Recherche sur cette contribution | |