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Murmure pour un tam-tam

Article paru dans Le Sportif (de Fort-de-France) du 2 juillet 1949 en page 3
(transcription C.S., avril 2018)

Murmure pour un tam-tam
Par Joseph ZOBEL

Cinq ans bientôt que Georges Louis PONTON, premier Gouverneur nommé à la Martinique après la Libération des Antilles, était ravi à l'affection du peuple martiniquais.
Il n'y a pas longtemps encore que le pays rendait un émouvant et dernier hommage au grand disparu dont les dépouilles quittaient le cimetière où elles avaient été l'objet de nombreux et constants témoignages d'affection, pour être inhumées en terre de France.
De Fontainebleau, où il réside actuellement, notre ami Joseph ZOBEL, nous fait parvenir les quelques lignes qui suivent, confidence et souvenir personnel, qui nous fait penser au tragique destin de ce grand français succombé parmi nous.

*

C'est arrivé il n'y a pas si longtemps, et c'est une triste histoire.

Je suis né à la rue cases-nègres...

Est-ce donc de ma faute si je fus surpris et troublé en recevant du Gouverneur de la Colonie une invitation à dîner ?

Ce soir-là, j'endossai le plus blanc de mes costumes de toile et partis à pieds sur la Route Didier, tourmenté par le souci de me hâter pour ne pas arriver en retard, et la crainte de m'échauffer et souiller de sueur mes vêtements.

Le Gouverneur accourut au devant de moi.
– Alors, Zobel, s'écria-t-il ; quel plaisir de vous connaître !
Il ne me laissa même pas le temps de lui dire une parole de politesse. Il m'entraîna par le vestibule avec un empressement chaleureux, et déjà amical.
– Je vous présente un jeune écrivain plein d'avenir.
Ainsi m'annonça-t-il au seuil du salon.
Parmi les invités, se trouvaient le professeur Gustave Cohen, des délégués du Canada français se rendant à Alger auprès du Général de Gaulle, Aimé et Suzanne Césaire, Jean Massip.
Et comme pour justifier son allégation, dont j'étais fort surpris, il ajouta :
– Je lis tout ce que vous publiez dans ce beau petit journal qu'est “Le Sportif”, mon cher Zobel.
Le dîner fut simple et, par dessus tout, cordial.
Ponton avait un art émerveillant d'abolir à son gré tout protocole pour la commodité de chacun, et de créer instantanément des rapprochements.

La préoccupation, l'objectif de chacun, étaient alors le prochain débarquement des forces alliées en France, la libération, la fin de la guerre. Chacun semblait être heureux de se sentir valide et fort pour s'embaucher au relèvement de la Patrie. Et tous ces Français qui, depuis des années, avaient vécu en terres étrangères, émigrés ou réfugiés combattants, retraçaient leurs odyssées en toute simplicité.
Ponton parla de Félix Éboué. Sans y penser, il faisait par anticipation le panégyrique le plus émouvant de ce grand défenseur de la France, dont il s'avouait si fier d'être le disciple.
– Tous les autres, disait-il, ont fait la Résistance pour y avoir été amenés, d'une façon ou d'une autre. Éboué, lui, risqua tout, la tête la première ! Je ne connais que lui comme résistant authentique”.
Puis, quelqu'un [ayant] nommé Bernanos ou Aragon, Ponton nous entraîna dans la plus folle randonnée poétique. Bavarder avec lui était apaisant comme la confiance.
Au piano, une jeune femme d'une étrange beauté, jouait la Sonate en si mineur de Chopin.

Quelques jours après, nouvelle convocation au cabinet du Gouverneur.
– Il vous faut un travail qui vous permette d'utiliser vos dons, me dit-il. Vous pourriez, par exemple, m'aider à donner l'impulsion à un mouvement culturel local, vous qui aimez tant votre peuple et votre pays... Non, non, ce n'est pas une tâche au dessus de vos forces. Nous en reparlerons.
Rendez-vous sans cesse remis. De graves problèmes économiques qui se posaient alors, l'arbitrage de nombreux conflits engendrés par la douloureuse contrainte du pays sous le gouvernement de Vichy, tout cela l'absorbait intensément.

Un jour, il ne vint pas à son bureau. Le lendemain non plus, ni les jours qui suivirent. Il était malade à la Résidence. Absence étrange.

Puis, à ma grande joie, un jour il revint. A peine rentré, il m'avait convoqué. Vêtu d'un costume bleu gris, il était installé à sa table de travail qu'une main tendre et dévouée avait fleurie d'un bouquet de superbes roses. Avait fleurie avec plus de dévotion que de coquetterie.

Oui, me dit-il, j'ai été fatigué, très fatigué.
Sur ses yeux, passa un voile de lourde mélancolie.
Et c'est tout.
Il ne me dit plus rien et je ne trouve rien à lui dire.
C'est qu'il paraît réellement fatigué, presque anéanti, et visible est mon étonnement qu'il soit venu à son cabinet. Je suis confus, qu'aussi triste, il m'ait appelé rien que pour me demander où en est mon prochain roman, si j'ai lu les “Sonnets écrits au secret”, et pour me dire combien il a goûté une conférence de Melle Paulette Nardal sur les Noirs et la Musique.
Alors, discrètement, je me retire. Je le laisse seul, moi aussi.
Et sans lui avoir dit adieu.

Ce qu'on peut être cruel de ne pas comprendre !

Alors, de fatigue, il s'écroula ; si fort, qu'on crut le voir tomber du haut d'un gratte-ciel.

Ce matin-là, les uns pleuraient de douleur ; d'autres qui auraient dû se frapper, se mordaient le pouce ou serraient la mâchoire.

Quelqu'un me dévisagea et éclata de rire.

Et depuis, tout est demeuré triste et pitoyable.

Joseph ZOBEL

Charles Scheel le vendredi 06 avril 2018

Contribution au livre ouvert de Georges Louis André Ponton

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