Contributions - Les Français Libres

Les Français Libres, de juin 1940 à juillet 1943

 
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Né en 1921 au sein d’un famille implantée dans le Sud-Ouest de la France depuis trois générations, j’ai très tôt été classé dans la catégorie alarmante des enfants fugueurs (première fugue à l’âge de cinq ans) ; mais dieu merci, j’avais une mère très près de ses devoirs et qui veillait au grain avec une efficacité surprenante. En rupture scolaire dès l’âge de quinze ans, j’ai fait mes premiers pas dans le monde du travail en câblant des châssis dans une entreprise d’électronique. A l’étage de l’imaginaire, je balançais entre marine et aviation. Et, sans trop tarder, le rêve fut suivi d’effet.

Tour à tour, mousse, matelot radio à bord du croiseur "Marseillaise", radio volant et navigateur dans une escadrille de l’Aviation Maritime, j’ai subi l’armistice comme un affront personnel. Le stage d’Hourtin où je devais recevoir une formation de pilote à partir de juillet 1940 ayant été annulé par une clique basée à Vichy, j’ai aussitôt J’avais dix-neuf ans. Après trente-neuf mois de service actif et, de ce fait, émancipé de droit, majeur, libéré de tout service militaire, je m’inscrivis, en auditeur libre, à l’Ecole d’Hydrographie de Marseille pour y compléter ma formation aux carrières de la Marine Marchande (ainsi que, parallèlement, le soir, à la chandelle, à celles du Transport Aérien). Jusqu’au terme de l’exercice en cours, je m’ingéniai à concilier mes activités scolaire et, en alternance, celles, plus prosaïques, de docker, de manoeuvre poseur de voie, de morsiste dans une agence de presse ou d’ouvrier électronicien pour assurer le lendemain. Et pendant tout ce temps là, à la ville et au port, je traquais les tuyaux, toujours crevés, pour passer à la France Libre. En période de vaches maigres, Marseille était devenue une ville impitoyable.

Nous étions trois comparses : le Lieutenant de Vaisseau Laurent, un capitaine de l’Armée de l’Air et moi-même. Faute de mécanicien dans le complot, une tentative de dérobade du "Ville de Saint-Pierre", hydravion gros porteur mouillé dans l’étang de Berre, s’était soldée par un échec. De même, en raison d’un renforcement de la surveillance, un bimoteur de liaison basé à Vichy fut éliminé de la liste des objets vulnérables. Au port, la filière "plaisance" se révélait de jour en jour plus impraticable.

En désespoir de cause, je pris alors la décision d’abandonner Marseille et de tenter ma chance au départ des côtes marocaines. Mais les eaux n’y étaient pas plus claires. Après plusieurs mois d’efforts infructueux -et de risque d’internement pour fait de gaullisme- je dus me résoudre à reprendre un bateau en partance pour la France où, à défaut de mieux, j’acceptai un embarquement d’intérimaire dans les fonctions jumelées de second lieutenant et d’officier radio à bord du "Marguerite Finaly", de la Standard des Pétroles, mouillé depuis longtemps et pour longtemps dans l’étang de Berre sous régime d’armement réduit. Nous allions au ravitaillement à la voile et nous éclairions à la bougie. A bord, les rapports étaient dégradés et les altercations fréquentes. Certain jour, j’ai vu des carafes, utilisées en projectiles, voler du carré de la machine à celui du pont. Le commandant arbitrait.

Au Nord, les troupes hitlériennes s’approchaient du Caucase et au Sud d’Alexandrie.

A l’Est, les Japonais campaient aux portes de Calcutta. Le Proche-Orient était en ébullition et l’Inde ouverte à tous les contrats. La tenaille se refermait. A tout prendre, malgré un risque d’internement de longue durée, le passage par l’Espagne m’apparut préférable au spectacle de cet équipage en crise. Avec l’acquiescement de mon frère aîné, physicien et ancien élève de Normale Supérieure qui fut ultérieurement déporté à Buchenwald, et l’assentiment de mes parents qui, de leur côté, assumaient leur citoyenneté en hébergeant des familles juives en perdition, je bouclai mon bagage et franchis les Pyrénées au cirque de Gavarnie.

Une semaine plus tard, je circulais, toujours libre, mais peut-être trop bien vêtu, trop bien chaussé, trop bien coiffé, dans les rues de Madrid. C’est à quelques mètres de l’Ambassade de Grande Bretagne, calle Fernando et Santo, que je fus appréhendé par des policiers en civil. De mon internement dans une prison madrilène à mon transfert maritime d’Algésiras à Gibraltar, neuf mois seulement se sont écoulés. Le miracle tient à ce que Franco, bon stratège, au lendemain de la bataille de Stalingrad, a compris qu’il y avait urgence à établir des accords d’assouplissement avec les ambassades alliées. Le camp de concentration de Miranda fut dès lors équipé d’une soupape de délestage ; donnant-donnant : un homme contre un quintal de blé. (J’ai eu à coeur de faire référence à cette tranche d’Histoire dans "Flamenco d’espoir" [roman, EFR, 1960]).

A Gibraltar, deux sergents recruteurs nous attendaient : celui de Londres et celui d’Alger. Pour moi, les données étaient claires, le choix remontait à juillet 1940. A quelques semaines de là, le cargo qui me déposa sur les quais de Liverpool faisait partie de la trentaine de rescapés d‘un convoi comportant, au départ, plus de cinquante navires. La bataille de l’Atlantique était plus que jamais d’actualité.

A ma grande surprise, à peine rendu au centre de contre espionnage de "Patriotic School", je fus soumis à un interrogatoire interminable; "l’Angleterre est une forteresse qui se défend à l’entrée", proclamait une affiche. Sans doute avait-on souci, en ce lieu de filtrage, de creuser la personnalité de mon père qui s’était présenté aux élections législatives quelques années auparavant, ou celle d’un proche cousin capturé par les Allemands au cours d’une opération de commando dans l’île de Crète. Je n’ai jamais eu aucune précision sur ce point, mais le fait est qu’il me fallut attendre près de trois semaines avant d’être rendu à la rue. A Londres, objet de tous mes voeux, l’heure du choix avait sonné ; une alternative se présentait à moi : devais-je, comme on me le proposait, opter pour un stage de pilote au Canada, trois ans après celui de l’Aviation Maritime qui avait été supprimé en raison de l’armistice, ou faire face à une participation plus pressante ? Je n’ai guère balancé : pendant six mois, pour le compte du Bureau Central de Recherche et d’Action (nos services spéciaux à Londres), j’ai assimilé cinq disciplines : opérations aériennes, transmission et codage, parachutage, sécurité, école de combat et sabotage. Ainsi transformé en archange blindé, j’en étais venu à établir le décompte de mes chimères.

Enfin, ce fut la convocation à Duke street, la confirmation aux fonctions de chargé de mission de deuxième classe portant attribution du grade de lieutenant, l’inventaire du trousseau (poste émetteur, jeu de quartz, colt, arme blanche, pastille de cyanure), la prise en compte d’un plan de travail (Gaieté Lyrique), d’un pseudonyme (Viking), d’un code individuel (un poème de Ronsard), la cigarette du condamné, le vol en compagnie de quelques centaines de bombardiers desquels il fallut se dégager à proximité de la Champagne pour prendre rang parmi les containers parachutés et sauter, esquif provisoire, dans un champ de pommes de terre balisé.

De cet instant à celui de la libération, ma mission s’est déroulée dans la Région C : sept départements de l’Est de la France. Pendant huit mois, j’ai vécu dans une quinzaine de foyers et dans les bois. J’ai été arrêté deux fois, je me suis évadé deux fois. Dans mes refuges, artisans et fermiers donnaient sans compter. Moi, je les compromettais et fuyais le piège goniométrique. Le prix qu’il a fallu payer en échange de l’assistance reçue, c’est le sentiment d’avoir été, par mes émissions, à l’origine d’un certain nombre de déportations. Nous vivions une époque de fauchaison : un tel enchaînement faisait du compagnonnage une véritable imposture.

Dès mon retour à Paris, au lendemain de la libération de Nancy, je me portai volontaire pour une nouvelle mission dans le cadre de la Section de Liaison Française en Extrême-Orient basée à Calcutta. Le principe de cet organisme était de déployer en Indochine des moyens comparables à ceux que nous venions d’utiliser en France ; mais, au pied du mur, les conditions de travail se révélèrent radicalement différentes de celles que nous avions rencontrées dans nos villes et nos campagnes.

Climat, faune, flore impénétrable, troupes japonaises, vietnamiennes et même françaises -celles qui étaient placées sous les ordres d’un amiral dévoyés qui s’acharnaient à notre perte. Les premiers parachutages se soldèrent par des échecs sans retour. Envoyer des hommes au casse pipe sans résultat n’ayant jamais figuré au programme d’un état major honorable, on mit rapidement un terme à l’expérience.

Notre métier était l’action subversive. Dans l’attente d’une affectation plus précise, nous étions bel et bien cloués à Calcutta.

L’effort de guerre allié s’était reporté sur le Pacifique. Me voyant désoeuvré, M. Roux, notre consul général, lui-même en fin de carrière et débordé par un excès de travail, me pria de lui prêter assistance. C’est ainsi que, sans autre régularisation, je fus conduit à assumer les fonctions d’attaché militaire, pendant trois mois, au Consulat Général de France de Calcutta : tenue des registres, suivi d’une évolution politique en pleine mutation et convoyage du courrier diplomatique en Chine devinrent, pour moi, des missions coutumières.......

Source : pif.allolespace.com 

Laurent Laloup le mardi 17 juillet 2007

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