| | | | | | Le 17 août 1944, dans la baie de Hyères, après une alerte aux avions qui a confiné tout le monde dans les cales, toutes écoutilles et ouvertures fermées, l'ordre de débarquement est donné et chacun se presse aux échelles qui pendent le long des flancs du navire pour gagner les barges de débarquement. C'est la nuit et de la terre tiède, parvient une odeur pénétrante de pin. Que c'est bon la France ! Tout se passe sans incident et grâce au génie de plage qui a parfaitement balisé la zone de débarquement, le regroupement se fait sans encombre à la Croix Valmer.
Le lendemain, le BM4 qui est en réserve de brigade traverse Cogolin. Le 21, il reçoit l'ordre de pousser sur la Crau pour déborder par le nord les résistances de Hyères. Mais tandis qu'il exécute son mouvement et qu'il a déjà occupé quelques hauteurs importantes, le Général Brosset tombe au PC comme un météorite, à son habitude, et change la mission du bataillon. II s'agit d'enlever Hyères où la 4e Brigade, arrêtée par les formidables défenses du Golf Hôtel et de l'Oratoire, n'a pu pénétrer. Le BM4 attaquera Hyères par le nord. La direction est immédiatement modifiée et le bataillon s'engage dans les Maurettes où, crêtes après crêtes, par une chaleur torride, alors que les bidons sont vides, il arrive en fin d'après-midi aux lisières nord d'Hyères. Seules quelques maisons où se sont repliés quelques Allemands doivent être nettoyées. Dans la soirée, le château d'Hyères est occupé et le bataillon fait liaison avec les unités de la 4e Brigade qui ont finalement brisé les résistances du Golf Hôtel.
Le lendemain, il se porte sur la Crau qui a été enlevée par le BM11 et subit à 23 heures un terrible bombardement par obus fusants qui lui causent quelques blessés.
Le 23, le BM4 reçoit l'ordre de dépasser le BM11 et de s'emparer des hauteurs du Thouars qui dominent Toulon et devant lesquelles le BM11 a été arrêté. L'attaque part à 9 heures. La 2e Compagnie parvient sans trop de difficulté à occuper la cote 132. Mais à peine arrivée, elle est prise à partie par un formidable tir d'arrêt où les obus fusants qui éclatent dans les arbres, mêlés aux obus explosifs, lui causent des pertes très sérieuses, tandis que les autres compagnies piétinent sur les pentes nord et sud. Malgré une contre-attaque, la 2e Compagnie tient bon. La 1re Compagnie au nord prend pied à son tour sur les hauteurs et la progression peut reprendre. En fait le Thouars était une position d'artillerie sous casemate. Débordés de toutes parts, les Allemands l'ont abandonné, mais ils avaient au cours de cette rude journée fait payer cher son succès au BM4. Huit Officiers étaient tués ou blessés, entre autres le Sous-Lieutenant Piaud dont le corps avait été volatilisé par un obus reçu de plein fouet.
Le 24, le BM4 progresse dans Toulon et occupe la gare des Tramways.
Les Allemands ont décroché et se replient à grandes foulées vers le nord. Mais l'exploitation est freinée par le manque d'essence. Les déplacements se font, tantôt à pied, tantôt en camion, lorsqu'il y a du carburant. Le BM4 gagne Avignon et franchit le Rhône le 29 en camions amphibie. Remontant la vallée de l'Ardèche, Chamborigaud, où il est bloqué par le manque d'essence, du 31 août au 8 septembre.
Enfin ravitaillé, il atteint Flacé-les-Mâcon où l'ordre lui est donné le 10 de foncer immédiatement sur Autun pour y relever un bataillon de Légion qui vient d'infliger à une colonne allemande en retraite une sanglante leçon. Continuant sa marche avec comme objectif lointain la trouée de Belfort, il atteint Beaune, puis Villersexel le 18 septembre.
Le 19 il relève dans la région de Villafans le 180 RI US. Mais les Américains ont perdu le contact. Les patrouilles trouvent le lendemain les Allemands à Moffans et à la Vacheresse. Les patrouilles se poursuivent en liaison avec les autres unités sans qu'on puisse, dans ce pays très couvert et vallonné, par une température exécrable, situer le contour exact des positions ennemies. Le 25 cependant, le BM4 reçoit l'ordre de s'emparer du village de Lyoffans et de pousser sur Andornay. II faudra toute la journée et des prodiges de courage pour s'emparer de Lyoffans, défendu maison par maison par des SS. Six fois l'assaut sera donné au cimetière dont les tombes sont éventrées par les obus. L'affaire ne se terminera qu'à la nuit. Le lendemain la prise d'Andornay sera tout aussi dure. Le village n'est conquis qu'à 18 h. Le BM4 est alors relevé par le BIMP. II est épuisé.
Non seulement les pertes subies étaient importantes, mais ses Sénégalais très éprouvés par le froid humide ne tenaient plus que par leur inépuisable esprit de dévouement et par leur conscience de vieux soldats. Beaucoup avaient les "pieds de tranchée" et leurs doigts gonflés d'engelures ne leur permettaient plus d'utiliser correctement leurs armes. On en voyait arriver au poste de secours, au petit matin, qui s'écroulaient où ils pouvaient, par terre ou sur un banc, demandant à se réchauffer. Au bout d'un moment, ils se relevaient, saisissaient leur arme et s'en allaient en disant "Maintenant on va retrouver les camarades". II était temps de les ramener dans des régions plus clémentes.
Déjà, depuis le débarquement, sans cesse des volontaires s'étaient présentés pour s'engager: des Sous-Officiers, des soldats qui avaient pu obtenir une permission ne revenaient jamais seuls. Ils amenaient des volontaires de leur village. Mais ce recrutement épisodique et un peu anarchique ne résolvait pas le problème.
Du 30 septembre au 7 octobre, tandis que le bataillon était au repos à Athesans, puis à Moffans, un maquis de l'Isère, le maquis de Chambarand lui est affecté en renfort, sur la demande même des maquisards qui avaient choisi le BM4. Des recrues en provenance des centres d'instruction arrivent en même temps.
II faut tout en évacuant les tirailleurs vers le sud refondre complètement le bataillon. Le maquis Chambarand constituera une compagnie homogène sous le commandement d'un de ses officiers, le Capitaine de gendarmerie Morel. Les autres maquisards sont repartis dans les compagnies. Le Commandant Mariotte qui commandait les Chambarands deviendra l'adjoint du Chef de Bataillon. Les recrues seront groupées à la 3e Compagnie où leur instruction militaire sera autant que possible, poursuivie, avant de les engager.
Ce n'est pas sans un serrement de coeur que nous vîmes partir nos Sénégalais, nos vieux compagnons de misère dont certains nous suivaient depuis 40. C'étaient des soldats magnifiques, terribles au combat, parfois d'un maniement difficile au repos, mais toujours fidèles et prêts à tous les sacrifices. Ils avaient eux aussi l'orgueil d'appartenir aux Forces Françaises Libres et ils le faisaient bien sentir à leurs camarades des autres divisions. Nous les aimions et ils le savaient. Ils nous rendaient notre affection par un dévouement sans borne. Ils avaient toute notre confiance.
Avec les Chambarands le contact est immédiatement bon. Vieux baroudeurs, Free french et maquisards s'entendent. D'ailleurs les Chambarands ont leur lettre de noblesse. Ils ont à leur actif quantité de coups de main sur les convois allemands. Ils ont aidé, dans la mesure du possible, les rescapés du Vercors et participé en unité constituée à la prise de Lyon, où le Général de Gaulle a décoré lui-même leur fanion de la Croix de Guerre, et aux combats de l'Isle-sur-le-Doubs. Les hommes sont des montagnards solides et les chefs des médecins, des gendarmes en rupture de gendarmerie, des commerçants, tous résistants authentiques. Parmi eux, un maquisard du nom de Jacquier Marie-Jeanne, chevalier de la Légion d'Honneur pour faits de résistance. Toute jeune, à peine plus de 20 ans, toute mince et timide, mais têtue et volontaire. Rien ne put la dissuader de quitter ses camarades du maquis. Elle refusa un poste au PC arrière, au poste médical, au PC du bataillon. Comme elle était une jeune fille d'une valeur morale irréprochable, on se résigna à l'inscrire sur des rôles comme soldat engagé pour la durée de la guerre, et on l'affecta à la Compagnie Chambarand. Qu'il pleuve ou qu'il vente, qu'il neige ou qu'il gèle, on verra chaque jour Marie-Jeanne aux premières lignes, se moquant du danger, visiter, réconforter et encourager ses camarades. Lorsqu'après la campagne d'Alsace le Commandant apprit que le BM4 avait une femme soldat, ce qui est tout de même inhabituel dans une armée régulière, il la convoqua. Et au Colonel Gardet, Commandant la Brigade, qui l'invitait à rejoindre sa famille en lui faisant remarquer qu'elle avait déjà fait beaucoup plus qu'elle devait, elle fit cette réponse magnifique : "Mon Colonel, quand on n'a pas tout donné, on a rien donné". Après cela elle fut adoptée par tout le monde. Au BM4 c'était fait depuis longtemps.
En 12 jours, du 30 septembre au 12 octobre, toutes les opérations d'incorporation, d'habillement, d'armement sont expédiées. Le 13 octobre, le front de la division s'étendant le long des Vosges de plus en plus vers le nord, le BM4 fait mouvement en direction du Ballon de Servance. Il relève, aux Evaudois, dans la soirée, un bataillon de la 1re DB et jusqu'au 24 ce sera une continuelle activité de patrouilles et d'embuscades du haut du Them vers la vallée où les Chambarands font merveille, capturant journellement des prisonniers, malgré des conditions météorologiques détestables et des nuits glaciales.
Le 26, il relève le 2e Bataillon de Légion dans la région de Fresse-Larmet, au pied du Col de la Chevestray, dernier col dominant au nord la trouée de Belfort. Le secteur est relativement calme. Cela permet de faire permuter l'une après l'autre les unités des premières lignes vers l'arrière et d'aguerrir la 3e Compagnie de recrues par des patrouilles. L'Allemand n'est d'ailleurs pas très actif. Par des prisonniers, on s'aperçoit qu'on a à faire à une unité de récupération, le "Bataillon des sourds".
Le 20 novembre, dans la matinée, le Chef de Bataillon reçoit l'ordre de s'emparer du col de Chevestray, de descendre sur Plancher-les-Mines avec comme objectif final Auxelle-Haut et le Mont Saint-Jean.
L'attaque démarre à 16 heures sans préparation d'artillerie. Le soir même le col de Chevestray est enlevé, une grande partie du "Bataillon des sourds" est fait prisonnier.
Dès le lendemain matin Plancher-les-Mines est occupé, Auxelle-Haut l'est à 15 heures et la 1re Compagnie coiffe le Mont Saint-Jean le 22 au petit jour, capturant une section de mortiers qui se repliait. Le gros du bataillon se regroupe à Auxelle-Haut et les jours suivants des patrouilles sont envoyées vers le Mont Ordon et la Planche des Belles Feuilles.
Pendant que le BM4 débordait la trouée de Belfort par le nord, la ville de Belfort était elle même enlevée et un bataillon de Légion coiffait le Ballon d'Alsace. Les divisions blindées pouvaient foncer vers le Rhin.
Le BM4 reste à Auxelle-Haut jusqu'au 2 décembre. Le 3, il fait mouvement vers Echnenoz-la-Méline, près de Vesoul où il reste au repos jusqu'au 12.
Aucune opération d'envergure n'étant prévisible avant un certain temps sur le front d'Alsace, la 1re DFL devenue disponible est désignée pour aller réduire la poche de Royan.
Le 13 décembre, par voie ferrée et par la route le BM4 fait mouvement vers le sud-ouest. Le 15, il s'installe à Saint-Ciers-sur-Gironde. Le 22, il est dans la région de Cognac, à Pérignac. Mais la situation s'aggravant brusquement en Alsace où les Allemands font peser une lourde menace sur Strasbourg, la 1re DFL quitte le Sud-Ouest et retraverse à toute vitesse la France en diagonale. |
| | Le BM4 à travers ce qui fut un village alsacien
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| | Parti le 28, le BM4 se retrouve le 1er à Sélestat où il relève des éléments de la 5e DB. La mission est défendre la ville coûte que coûte. De part et d'autre les activités de patrouilles sont intenses et les duels de mortiers continus. La ville est déserte bien que dix mille habitants y vivent, terrés dans les caves.
Le 18 janvier, le BM4 est relevé par le BM21 et va vers le sud, d'abord à Kintzheim où il relève le 2e BLE, puis le 23, il se regroupe à Saint-Hippolyte, au pied du Haut-Koenigsbourg. Le lendemain, taisant face à l'est, il borde la rive ouest de l'Ill et le 25 il pousse sa 2e Compagnie à l'est de l'Ill, à la corne sud-est de la forêt de l'Illwald de façon à contrôler les mouvements ennemis qui pourraient être masqués par elle. Le mouvement s'effectue sans encombre, trois prisonniers sont faits.
A 17 h 50, alors qu'il fait nuit noire, une intense fusillade éclate, les tirs d'arrêts partent mais la radio fonctionne mal, on ne peut les régler à la demande et il n'est pas possible d'envoyer des renforts à l'aveuglette. Le crépitement des armes automatiques dure environ une heure, puis c'est le silence. De 20 h 30 à 23 h, des éléments de la 2e Compagnie rejoignent isolément ou par petits groupes, le Capitaine arrive un des derniers. La Compagnie avait été brutalement submergée par une attaque d'environ trois compagnies allemandes. Malgré une défense énergique, la 2e Compagnie avait été vaincue par le nombre et avait laissé sur le terrain la moitié de son effectif.
Le lendemain, les autres compagnies du bataillon s'installent sur la rive ouest de l'Ill et aux lisières sud de la forêt de l'Illwald, tandis que la 2e Compagnie, réduite à deux sections, se reforme à Saint-Hippolyte.
Jusqu'au 31 janvier, rien de notable ne se passe. Ce jour-là vers 9 h 30, un message de la brigade signale que l'ennemi a décroché depuis Kraft jusqu'à Sélestat. Le BM4 part immédiatement et occupe son objectif qui était le village d'Ohnenhein. Du 4 au 15, il monte la garde du Rhin à Diebolsheim, Frisenheim, Zelsheim, puis relevé par le BM 11. Il fait mouvement vers Koguenheim et SaintHippolyte, où il cantonne jusqu'au 8 mars.
Le 26 février un nouveau renfort arrive au bataillon. C'est un maquis du midi, le maquis de la Marseillaise. Moins aguerris que les Chambarands et pour ne pas bousculer de nouveau des liens qui s'étaient créés, le chef du bataillon décide que les hommes et les cadres de ce maquis seront répartis dans les compagnies en recomplètement des pertes. Ceci ne fait aucune difficulté et l'amalgame commence par des séances d'instruction, car la guerre n'est pas finie et on ne sait pas ce que l'avenir nous réserve.
Evidemment ce que tout le monde désirait, maintenant que le territoire national était à peu près complètement libéré, c'était d'aller faire payer aux Allemands, chez eux, le mal qu'ils avaient fait en France. Hélas, ce n'était pas l'Allemagne qui nous était réservée, mais les Alpes-Maritimes où les Allemands tenaient encore.
Le 8 mars par voie routière et le 10 par voie ferrée, le BM4 fait mouvement vers Sospel où il arrive le 11 et le 12 mars. Le 14 mars, il relève le 442e RI US à Castillon, dans les ouvrages de Monte Grosso et à la Testa du Paola. Les Allemands occupent l'ouvrage du Brouis, dominé par le Monte Grosso, la cime du Bosc qui domine Breil. II s'agit de les en déloger et de gagner la route Tende-Vintimille.
Le 10 avril, une première attaque sur le col de Brouis et la cime du Bosc est lancée. Les deux objectifs sont atteints mais aussi bien sur le Brouis que sur la cime du Bosc, les réactions ennemies sont extrêmement vives et nos éléments sont obligés de regagner leur base de départ.
Le 15, l'attaque est reprise avec des effectifs plus importants avec décalage dans le temps pour faire bénéficier du maximum d'appui de feux chaque groupement d'attaque. L'attaque de la cime du Bosc part la première à 6 h 30. A 13 h 30, l'objectif est occupé.
A 13 h 30 une patrouille envoyée sur le col de Brouis trouve l'ouvrage abandonné. Une section l'occupe pendant que de la cime du Bosc et par la route le bataillon se porte sur Breil. La ville a été abandonnée mais elle est truffée de mines qui nous causent quelques blessés. Poussant vers le col de Tende la 3e Compagnie occupe la Giandola et Cacciaroli.
C'est à Breil, au cours d'un violent bombardement d'artillerie qu'est tué un tout jeune Lieutenant de la Marseillaise, qui meurt d'un éclat d'obus à la gorge alors qu'il était sur la table d'opération. Ce sera la dernière victime de la guerre du BM4.
Le 26, le bataillon est relevé et fait mouvement sur Sospel puis vers Antibes où il s'installe au repos à la caserne Gazan.
Pour lui la guerre est finie et c'est à Antibes qu'il fêtera, le 8 mai, la nouvelle de la capitulation. |
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