| | | | Quelques points d'histoire "oubliés" |
| Le point de vue du Général de Larminat sur le bombardement de Royan | | | Extrait des "Chroniques irrévérencieuses" fin du chapitre "les iniquities"Continuant sur les mêmes données de base, Robert Aron entreprend d'élucider le mystère de la destruction de Royan par un bombardement aérien allié, le 5 janvier 1945.
Si le sujet n'était aussi tragique, les explications recherchées, au demeurant contradictoires, seraient d'un assez bon comique...
D'une part on insinue assez directement que la faute en est à un général de l'Air Force américaine tout disposé à détruire Royan et ses habitants, qu'il considère comme collaborateurs sur la foi de racontars entendus au cours d'une beuverie dans un camp de presse F.F.I. Il n'y avait qu'un camp de presse dans mon commandement, il n'avait rien de spécialement F.F.I., étant constitué d'officiers de toutes origines et étrangers à la région. Il était dirigé par le commandant Bergasse, mon ancien de Saint-Cyr, depuis député et ministre, que je n'ai jamais considéré comme ivrogne et irresponsable. Puis l'on rapporte que les bombardiers ont bien été dirigés sur l'objectif de la Coubre (Royan ne comprenait aucun objectif militaire) mais que, les balises lumineuses larguées par les avions pilotes pour désigner l'objectif ayant dérivé sous l'action d'un fort vent se sont trouvées au-dessus de Royan quand les bombardiers sont arrivés. Ce n'est donc plus la faute d'un général américain malveillant, mais celle du vent et de l'emploi d'un procédé archaïque.
Mais il se trouve que la Coubre, extrême pointe du continent, facile à identifier car se détachant sur la mer, est à 17 kilomètres de Royan, soit un quart d'heure de dérive par grand vent. Et il faut n'avoir jamais subi un bombardement sur balisage lumineux pour ne pas savoir que les bombes suivent de très près les balises, justement en raison du risque de dérive. C'aurait d'ailleurs été un concours de circonstances très exceptionnel et remarquable que les balises dérivent exactement sur la distance et la direction de Royan, où le bombardement fut absolument précis. Au surplus y a-t-il eu deux vagues de bombardiers se suivant à intervalle d'une heure; ce qui réduit encore la vraisemblance de l'explication.
Il se trouve aussi que les équipages des bombardiers venus se poser en difficulté à Cognac ont déclaré avoir reçu ordre d'attaquer Royan et étaient porteurs de cartes où cette ville était cerclée au crayon gras.
Mon opinion est que c'est bien Royan qui a été désigné, comme le confirme le texte du télégramme reçu à Cognac, et déchiffré avec retard, et qui disait " Royan ". Ce télégramme a été reçu à 22h.22 à Cognac, alors que la première vague de bombardiers est arrivée peu après minuit. Il n'y avait donc plus le temps matériel de faire redresser sa mission. Et d'ailleurs, le télégramme serait-il arrivé en temps utile que le mot Royan aurait sans doute été considéré comme caractérisant la zone de l'objectif et non l'objectif lui même, tant il avait été dit, redit et confirmé que le seul objectif était la Coubre (Grave, primitivement envisagé, avait été finalement abandonné).
Comment cette tragique méprise, Royan et non la Coubre, a-t-elle pu se produire, je suis incapable de l'expliquer et juge téméraire et peu honnête de porter un jugement sur la base de racontars fragiles. Ce n'est malheureusement pas ainsi que l'on peut ressusciter les victimes et réparer les destructions, tout au plus peut-on irriter les esprits.
Naturellement il reste aussi sous-entendu dans le récit Meyer-Aron que le principal responsable fut le commandement français, coupable d'avoir eu la légèreté de penser que des bombardiers alliés pouvaient sans risque attaquer un objectif situé à 17 kilomètres d'une ville habitée. Autant dire qu'il était bien imprudent de se battre, surtout avec des armes puissantes et perfectionnées, alors qu'il eût été si confortable d'attendre en paix que la guerre se décidât en d'autres lieux.
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Ceci amène au troisième point du récit de Robert Aron, la glose sur l'intérêt que présentait les opérations sur Royan à l'époque où elles sont intervenues.
Il est certain que si l'on considère la tranquillité des gens du pays, cette attaque était fort mal venue. Il est certain aussi que le problème se fût trouvé résolu de lui-même un mois plus tard par la capitulation de l'Allemagne. Attaquer Royan vers la mi-avril serait donc un non-sens, un coup d'épée dans l'eau, qui aurait entraîné des pertes et des destructions sans bénéfice palpable. Et le commandement qui l'a exécuté serait condamnable.
Tout cela est indiscutable, vu à posteriori, et si l'on s'en réfère au seul critère des intérêts matériels locaux. La question est de savoir si, sur le moment, cette attaque avait une justification militaire, et si son intérêt, sur le plan de la nation, et non pas seulement sur celui des habitants de la région, légitimait les sacrifices qu'elle entraînait nécessairement. |
La 1re DFL avait commencé à faire mouvement vers la côte Atlantique quand elle fut soudainement rappelée pour sauver Strasbourg.
Finalement, c'est la 2e DB qui ira à Royan en avril | | Le dégagement de l'estuaire de la Gironde était la mission essentielle du commandement de l'Atlantique Il était prévu, et les moyens de renforcement commencèrent à se mettre en place, au début de janvier, lorsque la contre-offensive von Rundstedt fit refluer sur l'est toutes les forces disponibles. Le projet en fut repris en mars, les renforcements mis en place au début d'avril. A l'époque, il était admis que la dernière phase de la guerre touchait à sa fin, mais il était aussi très sérieusement envisagé que l'ennemi chercherait à prolonger la lutte en utilisant des réduits préparés à l'avance, depuis les " poches " de l'Atlantique jusqu'au réduit bavarois en passant par certaines positions en Norvège et au Danemark, peut-être dans l'espoir et l'attente que des conflits se déclareraient entre Alliés lors de la rencontre des Occidentaux et des Soviétiques, mais aussi pour pousser à l'extrême la résistance, finir farouchement en beauté, sans capitulation, dans le style Götterdämmerung cher aux Germains.
Je donne pour preuve de cette opinion alors répandue l'intérêt que les commandements alliés apportèrent aux opérations de Royan considérées comme banc d'épreuve de méthodes qui pourraient être employées dans des cas semblables.
Il y avait beaucoup plus. La considération que le monde a pour une nation, qui pour celle ci est un élément important de sa situation, car nul ne vit seul, ne se mesure pas seulement à sa population, ses richesses, sa culture, mais avant tout selon sa virilité. Celui qui est réputé n'avoir le désir ni la force de défendre son bien, celui-là est une proie désignée. |
| | Les gens raisonnables et " arrangeants " sont durs d'oreille. Le choc du glaive de Brennus dans la balance, son Vae Victis, cela ne leur dit rien. Et pourtant à certains moment c'est ce qui règle tout.
Notre réputation de virilité, de valeur militaire, avait été terriblement atteinte en 1940. Les railleries des deux colosses, l'Américain et le Russe, étaient cruelles à subir. Certes les F.F.L., puis l'armée d'Afrique, celle d'Italie, la 1re Armée, avaient montré que le soldat français gardait sa valeur. Mais c'étaient des troupes de métier et en majorité composées de Nord-Africains, Africains, étrangers. Il était de toute autre portée que nos F.F.I., soldats sortis spontanément du terroir, démontrassent leur pugnacité, leur capacité à battre sur son terrain un ennemi puissamment armé et bien entraîné.
Ceci est évident sur le plan mondial. Mais cela touche aussi la nation prise en elle-même. Un pays qui a été battu, humilié, ruiné, ne peut reprendre son essor vers la renaissance s'il ne s'appuie sur une bonne conscience, la conscience de mériter son renouveau, de pouvoir porter la tête haute, d'être dégagé et lavé de ses souillures et de ses hontes par des actes de combat et des sacrifices, et quand bien même ceux-ci ne seraient-ils pas immédiatement payants.
Cela, beaucoup de gens dans le Bordelais, et M. R. Aron les suit volontiers, ne veulent pas le comprendre. C'est un pays qui n'a pas connu les souffrances directe de la guerre depuis le XVIe siècle, un pays de vie facile, de climat physique et moral un peu mou, ou le sens civique et patriotique était chez certains quelque peu dégradé. L'occupation allemande n'avait pas amélioré un tonus moral médiocre, et j'en connais des exemples qui eussent été inconcevables dans les régions du Nord et de l'Est où la fibre est plus rude, où la confrontation séculaire avec l'ennemi et les réalités de la guerre ont endurci les âmes, où l'on accepte les épreuves avec stoïcisme, sans se plaindre ni composer.
Les possédants du cru étaient fort scandalisés de devoir fournir le champ de bataille et beaucoup pensaient et pensent encore que ces Allemands, avec qui on vivait et l'on faisait des affaires depuis quatre ans sans trop de douleur quand on savait s'arranger, étaient au fond plus supportables que ces soldats improvisés et turbulents venant des maquis, qui avaient la prétention de régler par les armes ce qui pouvait, avec un peu de compréhension, se traiter paisiblement. Après tout n'était-ce pas par d'habiles tractations que l'on avait réussi à sauver des destructions Bordeaux et son grand pont sur la Gironde ? Tout au fond d'eux-mêmes beaucoup d'hommes avisés eussent volontiers envisagé une sorte de zone neutralisée où Français et Allemands auraient attendu en bonne harmonie que les Seigneurs de la guerre règlent le conflit loin d'eux. Ils n'étaient pas du tout pour la guerre totale, à Bordeaux et alentour, oh! non, pas du tout.
Ce qui explique la rancune tenace qu'ils portent à ceux qui ont contribué à troubler leur tranquillité.
J'ajouterai ceci. Ceux qui payèrent le vrai prix, avec leur sang, étaient tous ardemment volontaires, et jamais il n'y eut récrimination de leur part. Alors que peuvent bien avoir à dire ceux qui n'ont souffert que dans leurs commodités et leurs biens périssables ? Ils ne l'emporteront pas avec eux. |
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