| | | | Les mémoires de Georges Desmarais | | | Etudiant en droit après des études à Oxford, sujet britannique d'origine française, natif de l'île Maurice colonie de la Grande Bretagne dans l'océan Indien, Georges Desmarais, en septembre 1939, n'a pu s'engager dans la RAF, la priorité étant aux Anglais nés en Angleterre. Après une expérience de bûcheron il retourne à Oxford, en juillet 1940 où lisant dans le journal l'Appel du général de Gaulle, il se retrouve volontaire à l'Olympia de Londres, candidat à l'engagement dans la Légion Étrangère...
(...)
...Vous ne connaissez pas l'Olympia? ... C'est un des plus buildings de toute l'Europe. Un croisement entre le Grand Palais (qui est bien) et l'usine Renault à Billancourt qui n'est, après tout, qu'une usine. L'Olympia servait avant-guerre à plusieurs fins, dont la plus importante était d'être une salle d'exposition. Quelque chose dans le genre de l'ancien Vel'd'Hiv à Paris. On y exposait (d'ailleurs on y expose encore puisqu'aucune bombe «salutaire» ne l'a détruit pendant la guerre) tout ce que l'Angleterre avait à montrer : depuis les produits agricoles jusqu'aux Rolls-Royces en passant par les cannes à sucre des colonies et les boomerangs
C'est grand, l'Olympia, c'est énorme, c'est tout en fer et en tôle. Nous sommes dirigés par un caporal vers une grande salle où se trouvent déjà, au moins, 500 soldats. On nous donne une couverture à chacun et, sans avoir dîné, nous nous couchons... À ma gauche Wladimir, à ma droite un gec qui a une grande barbe et qui se gratte, et qui se gratte. Nous sommes à même le sol en ciment et une odeur indescriptible flotte dans cette salle immense. Je me demande si je ne rêve pas. Hier soir c'était le collège à Oxford et ce soir je suis parmi une bande d'étrangers (beaucoup ont une mine patibulaire mais ce n'est peut-être pas de leur faute) et je ne sais ce que je fais là.
Je n'ai pas fermé l'œil de toute la nuit. Le Grec se grattait en grognant avec satisfaction lorsqu'il mettait la main sur une punaise. Il la mangeait peut-être, mais dans l'obscurité je ne pouvais voir.
Au petit matin, vers six heures, je réveille Wladimir et lui annonce ma décision de partir. Cette fois c'est irrévocable.
- « Mais partir où ? »
- « Chez de Gaulle. À Carlton Gardens, dans les FAFL »
Au guichet, il n'y a personne. Deux pas, trois pas et je suis sur le trottoir, avec ma valise et mon pardessus. ... Adieu Wladimir. Adieu Olympia. Adieu Légion.
Le n° 5 Carlton Gardens était en 1940 le QG du général de Gaulle. Les trois armes y avaient leurs bureaux respectifs dans ce même immeuble victorien, qui ressemblait à l'hôtel particulier d'un riche aristocrate plutôt qu'à un QG. Mais à tout prendre, ce n'était pas mal.
Deux factionnaires, avec baïonnette au canon, de chaque côté de l'entrée, donnaient un air « militaire » à ce paisible immeuble. De temps en temps on voyait un officier aviateur ou marin pénétrer par l'étroite porte et puis c'était le silence.
Mais, à l'intérieur c'était différent. Un sympathique brouhaha animait le couloir. Les plantons se parlaient et s'interpellaient, les deux ascenseurs montaient et descendaient sans cesse, chargés d'officiers, de femmes secrétaires, de militaires, de civils. On avait l'impression (qu'on me pardonne le cliché) d'être dans une gigantesque ruche, dont la reine se trouvait quelque part par là, en train de travailler, de combiner, de réfléchir. Georges Desmarais (casqué) et le futur amiral Robert Baillat
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| | Philippe de Gaulle
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| | Je m'adresse à un jeune garçon qui se trouve à une table au fond du couloir.
- « L'aviation, s'il vous plaît? »
- « Au sixième, Monsieur. »
En fait, l'armée était au rez-de-chaussée, au premier et au deuxième; la marine occupait le troisième, et le quatrième et l'aviation le cinquième. C'était naturel que l'aviation se trouva le plus haut placé, d'abord parce que c'était l'aviation et ensuite parce que c'était le service qui avait le moins d'effectifs à ce moment-là.
Je confiai ma valise au planton qui était dans le couloir et, en même temps qu'une douzaine de militaires de tous grades, dans une nuée de tabac gris qui me rappelait étrangement mon cher Paris, je me jetai dans l'ascenseur.
Mon cœur battait 120 à la minute car dans quelques instants, selon les caprices du hasard et de la guerre, je serai en passe de devenir pilote de chasse, de bombardier, ou de ... Dieu sait quoi ?
Pendant l'espace de quelques secondes, je me suis imaginé au-dessus de l'Allemagne en train de bombarder la Ruhr, aux prises avec un «méchant schmitt» et tout à coup j'aperçois l'uniforme bleu foncé de l'aviation française. Je me précipite sur le palier et les portes de l'ascenseur se referment avec un bruit métallique et définitif derrière moi. Il n'y a que des uniformes bleu foncé et comme personne ne vient à ma rencontre, j'avance tout droit devant moi.
Dans un grand bureau à gauche, j'aperçois un officier dont l'uniforme rappelle étrangement celui d'un aviateur français, en train d'interroger un jeune homme. Il me voit et me fait signe de prendre un siège et d'attendre.
Au bout de quelques minutes le jeune homme signe un grand papier... l'officier se lève et ils se serrent la main. Le jeune homme est parti et l'officier me fait signe d'approcher.
Comme je ne connais pas très bien les grades j'appelle l'officier « commandant ». C'est un grade qui ne peut pas froisser même si mon interlocuteur est colonel ou général parce que le mot sonne bien... et puis il doit bien voir que je suis encore civil et ignorant des affaires militaires.
Je me présente et je dis :
- Je voudrais m'engager dans l'aviation, Mon Commandant »
L'officier me regarde un instant, la cigarette au coin des lèvres puis :
- « Pourquoi l'aviation, mon garçon ? »
- « J'aime l'aviation, mon commandant, et puis je suis jeune et je crois pouvoir faire un bon pilote de chasse... »
- « Tous les mêmes, ces jeunes c.... dit l'officier in petto. « L'aviation, l'aviation » explose tout à coup le « commandant », « et la marine donc c'est de la merde... ? »
Au même instant j'entends « fixe ». L'officier se met debout et j'aperçois un groupe de plusieurs hauts gradés, précédé d'un amiral. Il a une casquette toute dorée surmontée d'une magnifique ancre en or. Il entre dans le bureau et se met à parler à l'officier. Puis il se retourne vers moi et dit :
- « Ah ! ah ! une jeune recrue ! Très bien. Très bien ».
... Et il repart. Mon « commandant » se rassoit et il allume une autre cigarette.
- « Ainsi, mon petit tu veux être aviateur? Écoute mon conseil, la marine c'est mieux... »
... et il parle pendant 20 minutes.
... « et puis le fait que tu es Britannique ne change en rien les choses puisque tu es de descendance française. On va arranger ça tout de suite avec le commandant R de Whitehall. »
Une heure plus tard, pour m'être trompé d'étage, j'étais engagé volontaire dans les Forces Navales Françaises Libres et j'avais quarante-huit heures de permission pour mettre mes affaires en ordre à Oxford. (....). Georges Desmarais, jeune engagé des FNFL
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