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Dans "le chemin le plus long"

 


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"Le chemin le plus long", c'est le livre des anciens Français Libre de la Compagnie de chars du Général de Gaulle.

Voici quelques uns de ses paragraphes

Ce cargo à l'ancre ne serait-ce pas le Léopold ?

Maintien de l'orde sur les quais de l'Adour

Page 78

Bayonne, 20 juin 1940.

Au port, Il n'y a que quelques bateaux de commerce vétustes dont aucun ne semble en partance, à l'amarre le long du quai, sauf un cargo belge, à l'ancre au milieu du fleuve.

Il n'y a pas foule sur le quai : seulement quelques gardes mobiles postés en sentinelles auprès des cales d'embarquement, et des groupes de badauds, certains très jeunes, avec un sac de campeur sur le dos.

Un commissaire de police bavarde avec Gaston Bignalet, un homme d'une trentaine d'années, qui travaille aux Dames de France. M. Isambert connaît vaguement les deux hommes, sans trop se rappeler où il les a rencontrés. La mémoire lui revient brusquement: c'était il y a deux ans, à un meeting de soutien aux républicains espagnols, alors en fâcheuse posture militairement. Le commissaire était là pour veiller au maintien de l'ordre, et Bignalet aussi, mais du côté du service d'ordre des manifestants. Bien que n'étant pas vraiment engagé dans cette affaire, M. Isambert avait remarqué que l'habitude de ces sortes d'affrontements finit par créer des liens de familiarité entre adversaires politiques. D'ailleurs, le commissaire est censé n’avoir aucune opinion, il ne fait qu'appliquer la consigne "Nous cherchons, dit-il, les jeunes gens qui veulent filer en Angleterre."

Le commissaire s'éloigne un instant pour aller régler un incident. Gaston Bignalet se retourne alors vers M. Isambert et dit d'une voix neutre, comme si leur complicité était depuis longtemps un fait établi "Il ne reste plus que Saint-Jean-de-Luz..."

Pour un antimilitariste, vivre ses contradictions...

Page 82

Pau, 20 juin 1940.

La rue des Cordeliers est noire de monde, surtout de jeunes garçons avec un sac à dos, l'air de partir camper en auto-stop, et toutes sortes de gens parmi. Des parents, des bavards, des importants, une section d'infanterie en armes attendant d'improbables ordres... L'incroyable, dans ces journées de juin précédant le solstice, qui voient renaître les puces et les poux d'antan, avec d'autres fléaux oubliés, c'est les bobards. Les plus invraisemblables sont ceux qui trouvent le plus aisément crédit, comme par exemple qu'un convoi est organisé par le 18e Régiment d'Infanterie, en garnison à Pau entre les deux guerres, pour transporter jusqu'à un point d'embarquement gardé secret les volontaires qui répondent à l'Appel du général de Gaulle.

Laborde, Dabadie et Duco-Balère, inséparables depuis quelques jours, sont là tous les trois, dotés de l'équipement de survie prévu par des familles plus attentionnées qu'imaginatives: un peu de linge, trop de provisions, peu d'argent.

- Moi, j'ai mon brevet de pilote civil, dit Dabadie, bien décidé à ne pas se laisser noyer dans la foule des bonnes volontés incompétentes.

- Moi, j'ai entendu personnellement l'Appel du général de Gaulle chez ma belle-soeur qui écoute les émissions de Londres pour savoir ce qui se passe en France, dit Laborde.

- Je ne te comprends pas très bien - lance Dabadie, le seul fort en thème du lot, cherchant à formuler avec tact son objection -, tu es un militant antifasciste, on le sait; tu as été faucon rouge pendant quatre ou cinq ans, ton père a fait campagne pour le Front populaire... Que tu veuilles lutter contre les hitlériens, c'est bien le moins. Mais que tu te précipites pour répondre à l'appel d'un général patriote, d'ailleurs en rébellion, probablement, contre la République, reconnais que, de la part d'un antimilitariste militant comme toi, c'est un peu contradictoire...

Joseph Laborde, en effet, bien que satisfait foncièrement de sa décision de partit en Angleterre, n'est pas tout à fait au clair avec l'ensemble de ses convictions, personnelles ou familiales. Son antifascisme juvénile a eu largement de quoi s'alimenter, à Vielleségure, un peu plus haut dans la vallée, avec le reflux des Espagnols républicains en déroute, le Pays Basque rouge et sanglant, et en même temps l'arrivée au pied des Pyrénées d'une autre vague, d'Europe centrale : Allemands, Autrichiens - juifs ou non -, Tchèques...

Il a envie d'ajouter une analyse sociale "de gauche" à l'appui de ses sentiments mêlés : son père est un artisan, sa famille, sans être au ban de la société, assurément, est tout de même un peu marginalisée par son protestantisme dans un environnement "catholique", c'est-à-dire, en vérité, complètement indifférent à la religion, mais ayant les mêmes habitudes que tout le monde pour les mariages, les enterrements, etc.

En plus (ou en conclusion), il n'est pas allé au lycée classique, comme ses camarades, il a été apprenti dans. un atelier de ferronnerie, puis dans un garage, avant d'entrer au lycée technique de Pau pour préparer son C.A.P. (certificat d'aptitude professionnel) de forge mécanique, qu'il a obtenu le 13 juin avec la mention "Très bien" mais dont il n'a pas encore le diplôme...

Maintenant qu'il est gentiment convié à s'expliquer sur son patriotisme fraîchement repeint, il ne veut ni se dérober ni rompre avec son passé de faucon. Un instant, il est effleuré par l'argument du pacte germano-soviétique qui a jeté la perturbation chez les communistes et sert de justification aux mesures d' "épuration" prises par le gouvernement, mais non: son père a toujours été, de mémoire d'enfant, socialiste non communiste ; le pacte a plutôt confirmé chez lui certains soupçons.

En fait, les racines de son engagement sont plus viscérales: l'antimilitarisme peut-il résister à toutes ces images de débâcles? La fuite devant Franco, devant Hitler, Mussolini... Fuir jusqu'ou, jusqu'à quand ? Le socialisme n'est pas la non-violence. Il y a un moment où il faut faire front, où la simple lutte politique s’évanouit dans l'insignifiance. Il se rappelle une séquence de film où l'on voyait des militants pacifistes couchés sur les rails devant la locomotive pour empêcher un convoi militaire de s 'ébranler. Il est maintenant certain que les hitlériens, eux, feraient démarrer la locomotive. Pour tout résumer dans une image incontestable, il réplique :

- Eh bien, je vais vous le dire : ce qui m'a scandalisé, c'est la déclaration de "Paris ville ouverte". Les démocraties n'ont pas à se conduire comme des minables. En 1871, les Communards n'ont pas fraternisé avec les Prussiens, en 1914, les Français ont défendu leur capitale... D'ailleurs, je sais dans quelle arme je vais m'engager : dans les chars, pour faire la percée !

- Moi, dans l'aviation, évidemment, dit Dabadie, d'un ton définitif.

Duco-Balère ne sait pas: il a envisagé la marine, il verra. La marine, c'est une arme qui a de la classe.

De toute manière, ils ignorent tout de ce qu'ils trouveront de l'autre bord : s'il y a la moindre marine, aviation ou colonne blindée. Peut-être le général de Gaulle n'a-t-il sous la main qu'un lot de fusils démodés, comme la République espagnole. Ou peut-être rien du tout.

En attendant, la fausse nouvelle qui a rassemblé la foule devant la caserne crève comme une bulle : des hommes casqués dégagent le secteur, sans grande conviction ; des officiers invitent le peuple à se disperser, refusant de répondre aux mille questions qui frisent. La rumeur qui monte de la rue, injures et protestations mêlées, exprime surtout la lassitude de tant de déceptions.

Partir à vélo ? Pau est quand même à plus de cent kilomètres à vol d'oiseau de la côte de l'Atlantique, et un cycliste n'est pas un oiseau. A la vitesse où progressent les colonnes allemandes, ce n'est pas gagné d'avance. Le train ? Il y a peu de trains civils et quant aux trains militaires, on risque d'y rencontrer le même accueil qu'à la caserne. De plus, ils vont, pour la plupart, dans l'autre sens.

- L'autobus, dit quelqu'un, à côté d'eux. Un car part demain à 7h.

Un petit groupe, une trentaine, s'éloigne discrètement en direction de la gare routière, puis, à la réflexion, vers un arrêt isolé des cars T.P.R. (Transports Palois Réunis), un peu plus loin sur la route de Bayonne. Une goutte de méfiance commence à iriser la surface des âmes; ils n'auraient pas songé, une heure avant, à faire mystère de leur départ. En définitive, ils sont dix-sept dans le car ; du moins, dans ce car surchargé, ils sont dix-sept dont l'allure et l'équipement ne peuvent laisser aucun doute sur leurs intentions.

Il y a même, au fond du véhicule, M. Cordier, directeur des T.P.R., qui amène son fils.

Aucun passager!
Mais ou sont donc cachés les autres Belges ?

Les dix-sept dans le maïs

Page 85

Bayonne, 21juin 1940.

Encore à l'ancre dans l'Adour, un cargo belge, le Léopold II, qui transporte du maïs brésilien, mais aucun passager, sauf le bourgmestre d'Anvers, Camille Huysmans, avec sa fille. Où transporte-t-il son maïs ? C'est là le premier problème. La destination change au fur et à mesure que tombent les nouvelles. Au départ, la destination était Anvers, pour le maïs comme pour le bourgmestre. Après les premières défaites franco-belges, le navire a été dérouté vers Bordeaux, puis, les nouvelles devenant de plus en plus alarmantes, vers Bayonne. Il en est, dit-on, ce soir, à lever l'ancre vers l'Angleterre : la volaille allemande ne picorera pas le maïs brésilien.

M. Cordier négocie. Ferme refus du commandant le navire ne prend aucun passager; rien n'est prévu, à bord, pour coucher, nourrir, laver..., sans parler de la sécurité, le golfe de Gascogne est infesté de sous-marins. Le bourgmestre intercède. Bon. Le commandant fera une exception pour le jeune Cordier, devant l'insistance désespérée du père. Finalement, les dix-sept sont acceptés, avec mille réticences - il a suffi de faire une brèche dans le système défensif, stratégie des assiégeants de tous les temps. Il est bien entendu qu'il n'y a de place à bord pour les adolescents que dans les cales pleines de maïs. Mais qui s'en soucie quand le silence de la ville annonce l'approche de l'ennemi ?

Mais qui est cette femme ?

A l'instant où, après deux heures de palabres et de piétinements, Laborde, grimpant l'échelle de coupée, arrive au bordage, une femme qui renonce au voyage descend par le même chemin. Non, elle ne remontera pas, c'est à lui de redescendre dans la vedette pour laisser le passage. Il est le dernier; les hélices du Léopold II sont en marche. Cette fois, tout est foutu. Il est arrivé à se raccrocher à l'échelle qu'on est en train de remonter, il perd une partie de son paquetage, se fait hisser par matelots et copains et s 'effondre sur le pont, essayant de comprendre ce qui vient de lui arriver.

- La lettre ! crie-t-il en se fouillant partout...

Il a encore le temps de la jeter dans la vedette :

C'est pas vrai Joseph, tu les as revues souvent après cette guerre !

C'est ainsi qu'on écrit à ses parents dans les grands moments. Comment ceux-ci vont-ils prendre ce message enfantin plein d'affectueuse hypocrisie ? Ne faut-il pas à la fois les rassurer, jouer au raisonnable, et leur annoncer (ce que les parents redoutent le plus) que leur fils plonge dans la tourmente ?

Dans la grisaille du couchant, le paysage se laisse à peine deviner ; les sommets de la Rhune flottent en liberté parmi d'autres nuages roses. Juste un instant, dans un dernier rayon de soleil, les falaises s'éclairent. Adieu. Je ne reverrai jamais plus les Pyrénées...

Les Belges aussi ont vu cette barque !

Une barque désemparée

Page 98

A bord du Léopold Il, 25 juin 1940.

Il y a plus inconfortable que le maïs. L'odeur est entêtante, mais on peut y faire son trou pour dormir, et même un trou à côté pour vomir. Que ces longs cargos lourdement chargés sont sujets au roulis ! A un certain degré de nausée, on ne craint plus la mort.

Le Léopold Il a fait un grand détour par le large pour éviter la mauvaise rencontre - la rencontre tant redoutée des équipages de la marine marchande, celle qui vous laisse complètement paralysé, impuissant sous l'oeil du monstre, durant les quelques minutes interminables qui précèdent la torpille de la mise à mort.

Ils ne rencontrent qu'une épave incompréhensible: une barque désemparée, avec au fond un homme mort, vêtu comme un marin-pêcheur.

Carnet de bal

Page 124

Delville,13 juillet 1940.

Pour confirmer leur promotion subite dans l'empyrée des unités combattantes, ils sont invités, non à de fastidieux exercices mais à assister à une séance de cinéma, pour un film qui n'a rien à voir avec l'armée, un film ordinaire, comme on en voit dans un cinéma de son quartier, à Pau ou ailleurs (Carnet de bal, de Duvivier, 1937), suivi d'un goûter avec thé et petits gâteaux.

C'est après seulement qu'est célébrée la cérémonie de la signature, sous l'autorité de l'adjudant-chef de la Celle, "qui a fait Dunkerque" Evidemment, personne n'a changé de projet, mais ils ont plus ou moins oublié que l'engagement n'est pas seulement un changement de vêture mais essentiellement un contrat dont la preuve est la signature du contractant.

- Tu écris la formule de ta propre main, dit Audibert, qui tient le registre. Non, tu écris jusqu'au bout : "... à servir avec honneur et fidélité".

Laborde signe avec un peu d'humeur, car il se croyait déjà parmi les siens définitivement; et la formule l'agace. A Pau, deux jours avant l'Appel du 18 juin, il a entendu le discours du maréchal Pétain qui parlait d'honneur et de fidélité pour annoncer la signature de l'Armistice. Il faisait à la France "don de sa personne", formule alambiquée pour dire qu'il s'emparait du pouvoir à la faveur d'une catastrophe nationale. Laborde ne sait pas si c'est le discours du maréchal ou l'appel du général qui a joué le rôle décisif pour son départ à Londres. Des deux conjugués, en tout cas, l'effet a été absolument irrésistible. Il est clair qu'en signant son engagement il vient à son tour de "faire à la France le don de sa personne" mais que, pour lui, ce n'est pas un tour de rhétorique diplomatique, comme pour l'ancien ambassadeur auprès de Franco, mais le sang, la douleur et la peur, et sans doute la mort. On peut lui présenter la note à tout instant et sans aucun délai de paiement.

Désormais, la troupe est prête à défiler sans armes, il est vrai - devant les plus hautes autorités. Défilé à Londres le 14 juillet, L'après-midi, ce qui veut dire que les "vraies" troupes (en armes) ont défilé le matin devant le roi et le général de Gaulle. Or, l'après-midi, le roi et le général sont encore là...

Quelle bonne volonté, quelle confiance dans cette foule qui applaudit ces jeunes gens désarmés en uniforme comme l'incarnation même de la puissance franco-britannique face à l'Allemagne nazie ! Malgré le poids dérisoire du glaive qu'ils viennent de jeter dans la balance, ils sont maintenant confirmés dans leur statut guerrier par l'enthousiasme du peuple.

Tyrans, descendez au cercueil !


JJ Laborde sur sa moto


Gl Legentilhomme

Auto mutation du motard

Page 228

Qastinah et environs, 4 juin 1941.

En tant que motard et agent de liaison, Laborde a l'occasion, dans cette période, de rencontrer les principales personnalités des F.F.L. ou du moins leurs secrétaires. Catroux, Koenig, Legentilhomme sont de ses familiers. Mais sa préférence va aux dames ambulancières de la mission Spears chez qui il a parfois la chance de déposer quelque message. Elles le reçoivent avec mille prévenances, ne le laissant repartir que chargé de mille douceurs. Enfin, c'est la sérénité bleutée des amours internationales.

Il a entendu tout ce qu'il pouvait entendre sur son penchant pour les dames mûres américaines (pas si mûres que ça, pense-t-il) et ses récents progrès en anglais tendre.

En réalité, il sent bien que ses récents succès lui ouvrent la perspective d'un grand destin. Et celui-ci ne tarde pas à se manifester:

- Toi, lui dit Koenig, le chef d'état-major de Legentilhomme, désormais, tu restes ici, tu seras le motard de l'état-major divisionnaire.


Laborde réconforté


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